Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Tous ensemble, tous ensemble !

Paris, novembre 2022

 

Joyeux contribuables , redevables du prélèvement spécial sur les bénéfices résultant de la vente, la location ou l'exploitation d'œuvres pornographiques ou d'incitation à la violence régi par les dispositions des articles 1605 sexies (sic !) et suivants du Code Général des Impôts, il faut que je vous fasse une confidence :

 

Je ne suis pas allé samedi dernier à la manifestation organisée à Paris contre les violences sexistes zé sexuelles.

 

Je suis pourtant un ardent défenseur de la cause féministe et depuis très longtemps. Pour vous donner une idée, cet engagement remonte à une ère lointaine, désormais noyée dans la mémoire de l’Homme, que l’on appelait le Pompidolien supérieur. Une époque où on roulait sans ceinture de sécurité, où la majorité était à 21 ans, et où on se battait contre les églises de l’époque pour une contraception libre et gratuite.

Une époque où le Planning Familial organisait des avortements clandestins à l’étranger et ne s’était pas encore reconverti dans la défense concomitante des hommes enceints, du voile islamique et de l’écriture inclusive accompagnée de son indispensable point médian.

C’est vous dire si ça date.

 

En fait, la principale raison de mon absence dans ce défilé était un appel à manifester émanant de l’un des principaux organisateurs de ce rassemblement : Le mouvement « Nous toutes » , autoproclamé « Mouvement de lutte contre les violences de genre ».

Cet appel m’avait en effet laissé perplexe.

Afin de mieux vous faire comprendre mon trouble j’ai reproduit ci-après en gras le texte de cet appel, sans modification aucune ni rajout :

 

Rendez-vous samedi 19 novembre à 14h à République à Paris

Les violences se situant au croisement de plusieurs oppressions, la tête de cortège sera réservée aux orgas et militant•es racisé•es, LGBTQIA+, précaires et handi.

 

Tristement blanc, hétérosexuel banal et pas spécialement précaire, les choses étaient claires d’emblée : ma place n’était déjà pas en tête du cortège.

J’ai eu un petit instant de doute sur le côté « handi » qui pouvait me laisser une chance… mais si les accidents de la vie ont bien fait perdre un peu de sa superbe légendaire à ma démarche féline et ont également cabossé légèrement ce corps de rêve qui, comme chacun sait, faisait mon succès dans les maternelles de Loire-Atlantique, on ne peut pas parler vraiment de handicap. Donc adieu à la tête du cortège.

Une question cependant me taraude. Fallait-il être à la fois noir, gay, chômeur et handicapé (ce qui, avouez-le, serait la preuve d’un Dieu excessivement taquin) pour être au premier rang ? Et sinon, qui était au deuxième rang ? Les gays chômeurs, les handicapés noirs, ou les trans créoles ? Il y avait-il un classement ? Tout cela était définitivement trop compliqué.

 

Heureusement, ces organisatrices se sont vite rendu compte du caractère un peu excluant de ce préambule et ont précisé que :

 

D'autres cortèges sont prévus pour rendre la manif la plus accessible : (Ouf ! Peut-être allais-je avoir ma place…)

 

- un cortège calme pour les personnes handi (on a vu que non)

- un cortège masqué (bien que ne crachant pas sur l’aspect ludique consistant à manifester avec un masque de Goofy ou de Mister Bean, j’estime que le thème de la manifestation ne s’y prêtait pas vraiment. Donc non)

- un cortège pour les familles de victimes de féminicides (rien dans ma famille, à ma connaissance. Donc non aussi)

- un cortège des associations luttant contre les violences faites aux enfant•es (aïe, rien non plus ici, probablement dû au faible nombre d’enfantes autour de moi)

- un cortège en mixité choisie (sans homme cisgenre) (bon, là, c’était râpé aussi, étant plutôt globalement satisfait du genre qui me fût attribué à ma naissance)

 - un cortège organisé par NTParisNord ( là, je n’ai pas compris la spécificité qui permettait à « Nous Toutes Paris Nord » d’avoir un cortège, et pas à « Nous Toutes Orléans Sud » ou « Nantes Ouest ». Mais dans tous les cas, Paris Nord ne me concernait pas)

- un cortège contre les violences gynéco et obstétricales (problème sérieux, certes, mais qui ne correspondait pas exactement au sens de mon éventuelle participation)

 

Il fallait me rendre à l’évidence. Ma participation d’homme cis blanc hétérosexuel, simplement soucieux et solidaire du sort des femmes dans la société n’était même pas envisagée, ou alors dans un neuvième cortège putatif et parfaitement secondaire.

 

Alors, je suis resté chez moi, rêvant de ces temps désormais révolus ou je pouvais librement manifester, dans le même cortège, aux côtés d’une concierge portugaise ou d’un retraité normand, autour d’un thème qui nous fédérait.

De ce temps universaliste où la communauté des idées prévalait sur les communautés tout court.

 

Mais le lendemain, j’ai organisé mon cortège à moi et j’ai marché dans la rue, tout seul, en chantant :

« Tous ensemble, tous ensemble, ouais ! ouais ! Tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais ! »

 

Et c’est ainsi que l’histoire s’écrit. Dieu est méchant , Madame.

 

 



25/11/2022
8 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 58 autres membres