Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Patron, un Rom-Quota !

Paris, octobre 2013

 

Deux hommes politiques se sont récemment exprimés, dans un touchant unisson, sur la place des Roms dans notre société :

Selon le premier, Ministre de l’Intérieur d’un gouvernement socialiste : « "Les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ».

Selon le second, vice-président de l’UMP et adepte d’une «  droite sociale » : « Les Roms n'ont pas vocation à être intégrés en France ».

 

Bigre, Bigre que de vocations !

Pourquoi cette expression alambiquée pour signifier, beaucoup plus simplement, à droite comme à gauche : « Je pense qu’il faut renvoyer chez eux - le cas échéant à l’aide d’un coup de pied bien placé -ces pouilleux, voleurs de poules analphabètes qui n’ont rien à faire dans notre si beau pays,».

 

Oui, pourquoi se cacher derrière ce vocable bien inutile de « vocation » ?

 

A l’origine, vocation à un sens principalement religieux : Il a le sens « d’appel » (du latin vocare, appeler). Il a longtemps décrit l’appel (de Dieu) qui entraine la novice à prononcer les vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, prélude à toute vie religieuse qui se respecte. Tout comme le chien aboie et la caravane passe, Dieu appelle et l’homme suit.

… Mais les Roms (dans leur majorité) ne me semblent pas volontaires pour entrer dans les ordres…

 

Par ailleurs, on trouve l’expression "Avoir vocation à... " dans des actes juridiques, pour exprimer qu’une personne réunit l'ensemble des conditions pour faire valoir un droit déterminé.

… Mais il est plutôt ici question – en ce qui concerne les Roms - de l’absence à la fois de droits et de statut juridique bien défini.

 

Il ne s’agit donc pas de ces vocations-là. Cherchons encore…

La définition littéraire du Larousse, dans sa version en ligne* nous fournit un indice intéressant : « Destination d'un être, ce vers quoi sa nature ou le destin semblent l'appeler » : Exemple (donné par le Larousse en 2013, non, vous ne rêvez pas !) : La vocation maternelle de la femme….

Passons pudiquement sur la vision magnifiquement progressiste affichée fièrement par Monsieur Larousse, pour lequel la femme est appelée, par sa nature et/ou le destin, à se reproduire plutôt qu’à perdre bêtement son temps, en tailleur et maquillée, à faire le zozo dans les conseils d’administration.

 

En revanche, arrêtons-nous (car il me semble que nous touchons là au nœud du problème) sur l’idée sous-jacente du camarade Larousse : comme Dieu déterminait la vocation du religieux, un pouvoir suprême (appelé nature et/ou destin) semble dicter ce à quoi une personne (ou une population) est destinée.

Avec cette définition, l’utilisation par ces hommes politiques du concept de vocation implique l’idée d’une finalité à tout être, de son « sens nécessaire » dans ce monde. Ce qui reviendrait à admettre que la « nature » ou le « destin » détermine chaque individu, ou chaque peuple. Vision téléologique, supposant que tout est dirigé vers une fin ou un but. Il est à craindre que ce ne soit la vision de nos Dupond Dupont de la politique.

A ce stade de la réflexion, faisons une pause.

 

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Pouf Pouf… Ce sera toi qui sera le loup, mais comme le roi ne le veut pas, ce ne sera pas toi… Pouf Pouf..

Bonbons, cacahuètes, chocolats glacés !

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Et relisons Jean-Paul Sartre **

« Il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'homme ou, comme dit Heidegger, la réalité-humaine. Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. »

Notre ministre de gauche voudrait-il renier la doctrine existentialiste de Sartre ? On ne peut même pas l’imaginer…

 

C’est le CNRS, par l’intermédiaire du CNRTL  ***(Centre National de Ressources Textuelles et Lexicale) qui nous sauve (comme bien souvent) en nous proposant cette définition :   

Inclination, penchant impérieux qu'un individu ressent pour une profession, une activité ou un genre de vie.

On peut penser que faire des milliers de kilomètres loin de son pays natal en abandonnant une partie de sa culture et de sa famille est une décision qu’on ne prend pas à la légère et est bien un « penchant impérieux », pour reprendre la définition du CNRTL.

 

Si l’on retient cette définition, deux remarques s’imposent :

  • Une vocation est donc une chose personnelle, un choix intime fait par un individu. Parler de vocation d’un peuple revient à sous-entendre un penchant « global » de ce peuple, lié sans doute à sa « nature », ou à son « ethnie » ? Vision éminemment raciste, osons le mot…
  • La vocation d’un peuple – si elle existait – ne pourrait être que celle qu’il se choisit. Qu’on soit d’accord avec cette vocation, ou non, est un autre débat.

 

Un ministre - fut-il de l’intérieur- ou un homme politique ne peut ni jouer le rôle de Dieu, ni remplacer le libre choix de l’individu en décidant de ce qu’est - ou de ce que n’est pas- la vocation de celui-ci.

 

Dans le premier cas, nous serions en présence d’un « chopage de melon », (plus connue sous le nom de encéphalomégalie aigüe), ce que je me répugne à imaginer de la part de deux représentants démocratiquement élus du peuple français.

Dans le second cas, il faudrait sous-entendre que ces peuples dont on parle ne sont pas des humains à part entière et que leurs capacités intellectuelles réduites ne leur permettent pas de s’autodéterminer.

 

Serait-il possible que l’inconscient de nos deux hommes politiques ait opté pour cette seconde solution en décidant quelle était - à leurs yeux- la véritable vocation des Roms ?

 

On ne peut l’imaginer. Ce serait sous-entendre que ces deux individus pensent beaucoup plus à droite qu’ils ne parlent.

 

 

 

PS1 : voir à ce sujet l’étude très poussée sur l’origine « sarko-guainesque » de l’expression « avoir vocation à » sur http://blog.veronis.fr/2007/06/sarko-vocation.html

 

PS2 : en restant dans le thème de la vocation, deux informations qui devraient plus surement préoccuper nos « Homo Politicus » favoris :

  • Christine Taubira, Le Figaro du 26 septembre 2013 : «Il y a 330 postes vacants de magistrats en France, c'est à dire budgétés et financés, mais faute de vocations nous n'arrivons pas à les pourvoir. La Chancellerie fait comme elle peut pour gérer la pénurie»
  • Le Figaro du 18/10/2012 : « Dans la moitié des départements, la moyenne d'âge des médecins généralistes libéraux est supérieure à 53 ans. Dans l'Orne, une des zones les plus sinistrées, 35% sont susceptibles de décrocher leur plaque dans les cinq ans alors que les moins de 40 ans ne représentent que 5,8% des effectifs. Les jeunes médecins boudent la spécialisation «généraliste» à l'issue de leur cursus ... »

 

Références :

*http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/

**Jean-Paul Sartre : L’existentialisme est un humanisme Collection Folio essais (n° 284), Gallimard

*** http://www.cnrtl.fr/definition/



06/10/2013
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