Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

L'obéissance au porc

Paris, novembre 2017

 

 

Obéissez à vos porcs qui existent. Je me soumets à mes dieux qui n’existent pas.

René Char (1907-1988) – La Parole en archipel (1962)

 

 

 

Il était déjà entendu que l’homme était un loup pour l’homme (1), mais voici que le bestiaire se complique : désormais, l’homme serait donc un porc pour la femme.

Partout, et c’est tant mieux, des femmes se dressent pour dénoncer viol, domination, machisme, agression dont elles sont victimes, réduites au rang d’objets des désirs et du pouvoir des mâles dominants.

En tant qu’homme, me voici contraint de prendre position pour ne pas passer pour complice de ces prédateurs.

Il faut absolument que j’ai un avis. Vite. C’est le sujet du moment…

Arrgh….Comment dire ? …

 

Je ne me sens pas concerné.

 

Je ne sais pas. Je n’ai jamais violé personne. Si si. Je vous assure. Jamais eu un geste déplacé, jamais tenté un bisou volé, jamais une main baladeuse. Même aujourd’hui, quand je caresse mon chat et que je sens que ça l’énerve, j’arrête. C’est vous dire !

A la maison, je balaie, j’aspire, je lave, je récure, je détache, je sèche, je repasse. Et d’ailleurs, quand je le dis, cela vous fait toujours sourire.

 

Mais bon, il y a des porcs parmi les hommes. Condamnons donc. Exigeons l’éradication du porc. Les porcs mis de côté, le reste du monde pourra enfin vivre dans une société apaisée.

Vous croyez vraiment ? Et si en réalité notre société était toute entière construite pour fabriquer, soutenir, voire idolâtrer tous ces porcs ? S’ils n’étaient, au fond, que le simple reflet de nos valeurs, la conséquence de notre idéologie ?

 

Tout d’abord, je me souviens de mes soirées, il y a longtemps….Les timides et les bons copains qui faisaient tapisserie. Les « agresseurs », « embrasseurs dans les coins », aux mobylettes rutilantes, qui repartaient accompagnés des plus belles, en ricanant. Oui, Mesdames : déjà, vous n’étiez pas toujours raisonnables.

 

Et encore aujourd’hui, quel est donc le modèle d’homme que notre société promeut ?

 

Prenons pour exemple, et au hasard, quatre des plus beaux spécimens de cette cohorte porcine récemment désignés à la vindicte populaire, du lourd, du premier choix :

 

Donald Trump: Homme d’affaire richissime, déclare en 2005: “When you’re a star, they let you do it. You can do anything… Grab them by the pussy. You can do anything ». (Quand vous êtes célèbre, elles vous laissent faire… Attrapez-les par la chatte… Vous pouvez tout vous permettre). Suspecté d’agressions sur plusieurs femmes avant son élection. En 2016, est élu président des États Unis d’Amérique... entre autre par 42% des femmes américaines.

Harvey Weinstein : Célèbre producteur Hollywoodien de films à succès. Surnommé l’homme aux soixante statuettes en raison du grand nombre de récompenses reçues par ces films. Soutien du camp démocrate aux États-Unis, de Bill Clinton à Barak Obama et Hillary Clinton. Chevalier de la légion d’honneur en France. A ce jour (et ce n’est pas fini) plus de 70 femmes l’accusent de harcèlement, agression sexuelle ou viol.

Roman Polanski : Célèbre réalisateur, producteur et scénariste de cinéma. Récompensé par un Oscar, trois Golden globes et une palme d’Or à Cannes. Accusé en 1977 de viol sur mineure, puis ensuite de quatre autres agressions sexuelles, toujours sur mineures.

Dominique Strauss -Kahn : Homme politique, ministre, maire de Sarcelles, puis député. Nommé directeur du Front Monétaire International. Suspecté d’emploi fictifs (MNEF, ELF…) Utilise son pouvoir à de multiples reprises auprès des femmes (affaire Myrta Merlino à la fin des années 1990, affaire Piroska Nagy en 2008, affaire Tristane Banon en 2011) Mis en examen pour proxénétisme aggravé en bande organisé dans l’affaire du Carlton de Lille. Accusé d’agression sexuelle, tentative de viol, abus sexuel et séquestration sur une femme de chambre ( Nafissatou Diallo) de l’hôtel Sofitel de Manhattan.

 

Jolie brochette, non ?

 

Première constatation : tous ces hommes sont riches et possèdent, dans leur domaine respectif un pouvoir important. Ce sont des modèles de « réussite » pour cette société dans laquelle nous vivons : Trump et DSK ont été élus, plusieurs fois, et de façon démocratique. Polanski et Weinstein ont reçu, à plusieurs reprises, récompenses et reconnaissance de leurs pairs et du public.

Et qu’on ne me dise pas qu’on ne savait rien de leur côté sombre : il était connu de tous, et depuis fort longtemps. Notre société a donc choisi, reconnu, encensé comme représentant politique ou culturel des individus qu’elle savait être des agresseurs, en fermant les yeux et en se pinçant le nez.

 

Et puis oui, des dizaines de femmes ont porté plainte pour agression contre ces individus. Mais ces hommes avaient également du succès auprès de la gent féminine. En plus de très nombreuses maîtresses aux relations librement consenties, certaines choisissaient même de partager leur vie. Et pas n’importe lesquelles :

 

Donald Trump a 71 ans. Il est marié depuis 2005 à une jolie mannequin slovène,24 ans plus jeune que lui.

Harvey Weinstein a 65 ans. Il est marié depuis 2007 à une styliste et actrice, 24 ans plus jeune.

Roman Polanski a 84 ans. Il est marié depuis 1989 à une actrice française, 33 ans plus jeune.

Dominique Strauss –Kahn …. Son « explosion en vol » au Sofitel de New York a mis fin à son mariage avec Anne Sinclair, une brillante journaliste qui a partagé sa vie pendant 22 ans. Il vient de se remarier avec une jeune femme d’affaire franco-marocaine….19 ans plus jeune que lui. Convenons qu’elle pourra difficilement dire qu’elle ignorait le passé de son nouveau mari.

 

Ces femmes ont donc épousé des porcs, en pleine connaissance de cause, et ont vécu avec eux, pendant de nombreuses années. Bien évidemment, certaines tentent de prétendre aujourd’hui qu’elles ne savaient pas. Elles étaient les seules : la plupart ont entamé leur relation bien après les premières affaires dans lesquelles était impliqué leur petit cochon favori. Mais, fascinées par ce mélange de pouvoir et d’argent, elles préféraient en profiter plutôt que d’ouvrir les yeux… On peut même se demander si certaines n’étaient pas justement attirées par cette face sombre de leur conjoint.

 

Alors, si ces hommes sont des porcs, comment devons nous donc appeler ces femmes ? Des…

Non, ne comptez pas sur moi pour prononcer le mot. D’abord parce que je n’aime pas causer du tort à autrui. Et puis parce que, s’il faut choisir un nom, je préfèrerais alors les appeler des laies, version sauvage et femelle de notre porc. C’est moins… laid.

Mais peu importe le nom : elles existent. Ce sont celles qui trouveront toujours un riche quinquagénaire parisien au volant de son AUDI plus séduisant que Marcel, jeune agriculteur de la Haute Loire. Et croyez-moi, elles sont plus nombreuses que vous ne l’espérez.

 

Et nous tous, petits porcelets, aux indignations feintes ? N’est ce pas nous qui avons élu Donald Trump, voté Dominique Strauss Kahn, applaudi aux films de Polanski ? N’est ce pas nous qui avons contribué à donner encore plus de pouvoir, qui avons consacré et enrichi ces hommes dont nous avons voulu ignorer le côté sombre ? N’est ce pas nous qui vouons un culte maladif à la réussite, en admiration béate devant des petits winners chefs de rayon ou directeurs des ventes qui pourront ensuite librement coincer l’employée non consentante au détour d’un bureau?

 

Nous édifions chaque jour une société pire que la pire des meutes, ou seuls les mâles dominants peuvent se nourrir et choisir leur femelle et une bonne partie de notre société, hommes et femmes confondus, est fascinée par ces monstres que nous faisons semblant de découvrir aujourd’hui.

 

Nous portons aux nues le pouvoir et l’argent, nous faisons un modèle de ces gagnants aux mâchoires d’acier et nous nous étonnons de leur comportement ?

Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes…(2)

 

Si le porc existe, c’est bien que nous lui avons donné toute sa place au sein de notre monde.

 

Mais rassurez-vous, Mesdames. Nous, hommes « normaux », nous resterons là, à vos côtés. On ne vous agressera jamais. On vous respecte. On se lèvera si on vous embête dans le métro. S’il le faut, on cherchera un contrôleur ou un policier. On dira aussi à notre copain bourré d’arrêter d’être lourd. On lui dira même le poing fermé, s’il le faut.

On vous ramènera jusqu’à la porte de votre immeuble si vous avez peur et que vous le demandez. On portera vos valises. On vous ouvrira les portes.

On ira chercher pour vous la boîte de biscottes sur l’étagère tout en haut au supermarché. Et tout cela pour rien.

 

Vous ne risquez rien : nous sommes les gentils. Mais si, vous savez ? Ceux dont vous ricanez…

 

 

 

 

(1)    Plaute, Pline l’ancien, Érasme, Montaigne, Thomas Hobbes…. Je ne sais plus, en fait !

(2)    Bossuet

 



10/11/2017
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 58 autres membres