Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Sister Morphine

Paris, juillet 2016

 

 

Si ça se trouve,  Baudelaire (Charles de son prénom) souffrait tout simplement d’un déficit génétique en récepteurs opioïdes de type µ…

 

Ben oui…Il y a des indices : je m’explique :

 

Penchons nous un peu sur son œuvre : le poème « L'étranger » tout d’abord (Petits poèmes en prose, I)

 

-Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? Ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère?

- Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.

- Tes amis?

-Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.

- Ta patrie?

- J'ignore sous quelle latitude elle est située.

- La beauté?

- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.

- L'or?

- Je le hais comme vous haïssez Dieu.

- Eh! Qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger?

- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!

 

Puis allons faire un tour dans « Les fleurs du mal «, avec « Recueillement », et la fameuse première strophe :

 

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.

Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :

Une atmosphère obscure enveloppe la ville,

Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

 

Résumons la situation du poète : Pas de père, ni de mère, ni frères, ni sœurs….tellement peu d’amis qu’il en ignore même le mot …. et la douleur qui s’en vient quand descend le soir….

 

Selon un article récent paru dans le journal «Nature»(1), ce que ressentait Charles Baudelaire est logique : cette étude récente montre qu’on peut établir une corrélation directe entre la résistance à la douleur d’un individu et la taille de son réseau social.

Pour faire simple : Plus un individu est entouré d’amis, plus il est résistant à la douleur.

 

Et la question se pose, qui a commencé ? La poule ou l’œuf ?

Est-ce que c’est parce qu’il a plein d’amis que, béat, l’être humain supporte les douleurs en souriant stupidement, ou bien parce qu’il supporte la douleur sans broncher qu’il peut s’entourer une kyrielle de chouettes copains hurlants?

Et bien ni l’un ni l’autre : les deux ont la même cause : le système des récepteurs opioïdes de type µ.

 

Comme souvent pour ce qui se passe dans le corps humain, tout s’explique par un système de récepteurs et de ligands : une molécule (clé) se fixe dans un récepteur (serrure), ce qui ouvre une porte (un effet biologique).

Ici une morphine fabriquée par notre corps : la beta endorphine qui se fixe sur  des récepteurs (appelés opioïdes de type µ) situés dans le cerveau. Et cette fixation a deux effets : favoriser le contact avec les autres (socialisation) et provoquer une diminution de la douleur (analgésie).

 

Afin de mieux comprendre le phénomène, observons ce qui se passe chez Marcel, habitant de la caravane 23 du camping « A l’abri côtier » de Tremponzy les Arpions.

 

Lorsque cette endorphine se fixe sur ses récepteurs opioïdes de type µ, Marcel est soudain envahi d’une sensation de bien-être et d’euphorie… Il trouve tout merveilleux, ce qui le pousse immédiatement à se frotter à ses congénères, en leur offrant de partager illico une partie de pétanque ou un apéritif anisé.

 

C’est la « Brain Opioid Theory Of Social Attachment » ou BOTSA, (2) ou Théorie de l’attachement social via les opioïdes du cerveau. Plus son système endorphine/récepteur fonctionnera, plus Marcel aura l’envie irrépressible de se faire de nouveaux amis.

 

Mieux, le contact avec ses voisins de caravane, en favorisant lui-même la production d’endorphine,  va entretenir le système en prolongeant cette euphorie qui le conduira à proposer la revanche de la partie de pétanque, puis la belle….jusqu’à l’inévitable échange d’adresse et les retrouvailles l’hiver venu autour des photos de vacances.

 

Par la même occasion, cette beta endorphine produit un important effet antidouleur (encore plus élevé que la morphine médicament !)(3) qui permettra au même Homo Sapiens de se prendre la dite boule de pétanque sur les orteils tout en gardant d’une part un sourire béat et d’autre part la main dans la main de son copain de camping. Même pas mal ! …

 

Mais alors comment expliquer ces hordes d’amis en bobs Ricard bras dessus bras dessous d’un coté et la longue complainte lugubre du misanthrope hurlant seul dans la nuit d’autre part ?

Pourquoi certains individus (j’en suis) comptent-il leurs amis sur les doigts d’une seule main d’un employé de scierie maladroit ?

 

Eh bien, nous n’y pouvons rien (ou pas grand chose) : Il semble que la cause en soit essentiellement le nombre de récepteurs opioïdes de type µ présents dans le cerveau (et la moelle épinière), qui peut varier de 30 à 50% selon les individus. Et cette densité est déterminée de façon génétique…

 

Nous ne choisissons pas d’être misanthrope. En revanche, misanthropes, nous devons en surplus nous résoudre à souffrir plus que les autres….

Les grandes douleurs sont muettes, disait Sénèque, le stoïcien.

 

Je  propose donc de réécrire l’acte I Scène 1 de la pièce de Molière, "Le Misanthrope" :

 

« Je veux qu’on me distingue, et pour le trancher net,

L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait »

 

en

 

 « Je veux qu’on me distingue, et pour le trancher net

J’ai les beta-endorphines qui sont dans les chaussettes… »

 

Ça a une autre gueule, non ?

 

 

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Bibliographie

 

 

  1.  Johnson, K. V.-A. and Dunbar, R. I. M. : Pain tolerance predicts human social network size. Sci. Rep. 6, 25267 (2016).
  2.  A.J. Machin1 and R.I.M Dunbar :  Behaviour, Volume 148, Issue 9-10, pages 985 - 1025  (2011)
  3.  Loh, H. H., Tseng, L. F., Wei, E. & Li, C. H. β -endorphin is a potent analgesic agent. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 73, 2895–2898 (1976)


29/06/2016
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