Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Lorsque l'enfant parait (II -Miscellanées)

Paris, mai 2020

 

 

 

 

Maintenant que les comptes sont réglés avec les pseudo anarcho-libertaires de 1968,  (voir l’article précédent) quelques lignes supplémentaires sur ce que nous enseigne, à mon sens, « l’affaire Matzneff »  sur deux questions importantes :

 

  • La notion de « consentement » (puisque c’est aussi le titre du livre de la victime qui a fait éclater « l’affaire »)
  • Doit-on séparer « l’homme de l’artiste » ?

 

  1. Le consentement

 

Une jeune fille de 14 ans peut-elle consentir ? Si oui, ou si non, à quel âge peut-on considérer que le consentement est éclairé ? 12 ? 16? 18 ? Que d’arguments spécieux et de débats byzantins sur le sujet…

Qu’est-ce qu’une relation amoureuse, sinon un contrat entre deux êtres ? Or, rappelons que le droit français dit que l’enfant mineur est un « incapable » juridique, c’est-à-dire que ses engagements «sont nuls ou annulables». En clair, pour la loi française un enfant ne peut contracter.

Le législateur estime qu’il n’a pas la clairvoyance nécessaire pour acheter un abonnement téléphonique, par exemple. Et je ne vois personne s’en indigner, ou manifester bruyamment pour changer les choses. L’aurait-il plus alors pour donner son corps à un adulte ?

Peut-on imaginer qu’un forfait 30 Giga soit plus sérieux que l’innocence d’un enfant, ou qu’une offre SMS illimitée soit plus importante qu’une petite sodomie infligée par un quinquagénaire ?

 

Une relation amoureuse n’est rien d’autre qu’un contrat et même un contrat que le droit dit « synallagmatique », c’est-à-dire dont l’exécution engendre des obligations réciproques … C’est d’ailleurs pour cela que le mariage (et son contrat) inscrit dans la loi les obligations de respect, fidélité, secours et assistance.

De la même manière, pour toutes les autres relations non régies par la loi, devrait donc s’imposer à tous au minimum l’obligation de respect, ce que Chamfort, traduisait en 1795, par: « Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà, je crois, toute la morale ».

Ajoutons-y, pour les adultes faibles aux hormones impérieuses qui seraient tout de même tentés par de la chair fraiche, la phrase de Camus qui nous dit que : « Un homme, ça s’empêche ». Et voilà.

 

Tout cela parait pourtant bien simple : toute relation est respectable (et doit être respectée) dès lors qu’elle intervient entre adultes consentants, du fait du caractère éclairé et libre des contractants. Les relations imposées par la terreur, le pouvoir ou la violence, les relations avec des mineurs ou des animaux, ne peuvent pas être considérées comme des contrats.

Fin du débat.

 

  1. Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?

 

OUI. Evidemment.

L’artiste pense, rêve et décrit un monde imaginaire. L’homme vit dans le monde réel. Une pensée n’est jamais illégale. Un comportement peut l’être

D’ailleurs, séparer l’homme de l’artiste est la seule possibilité que l’on a de juger l’homme pour ses actes, comme n’importe quel justiciable.

 

Jean-Jacques Rousseau a abandonné ses cinq enfants. Voltaire était homophobe et raciste. Baudelaire se droguait, buvait et fréquentait des prostituées. Hugo trompait sa femme aux yeux de tous. Marx a couché avec la bonne et Wagner était antisémite … on pourrait ainsi continuer à l’infini…

Faut-il pour autant jeter aux orties « Parsifal » ou « Du contrat social » ? On peut trouver l’antisémitisme de Céline insupportable et condamnable ET reconnaitre que « Voyage au bout de la nuit » est un immense roman qui méritait bien plus que le prix Renaudot en 1932.

 

Il n’y a pas de crimes d’artiste (bon, à part contre le bon goût, trop souvent…)… et « pour les crimes des hommes, il y a les tribunaux » disait justement Cincinnatus. (1)

On peut violer et tuer dans un roman, et cela conduit à « J’irai cracher sur vos tombes ».

On ne peut pas condamner Boris Vian pour cela.

On peut tabasser des gendarmes « à grands coups de mamelles » sur la place d’un marché dans une chanson.

On ne peut pas condamner Georges Brassens pour « Brive la Gaillarde ».

 

Et on ne peut bien évidemment ni violer, ni tuer sur des tombes, ni tabasser des gendarmes dans la réalité. Surtout à grands coups de mamelles…

 

On peut (on doit) dire, si c’est le cas, que l’on n’aime pas. Critiquer, violemment. Dissuader les autres de lire, même. Lutter contre les idées. Faire honte aux auteurs qui s’égarent.

Matzneff peut écrire ce qu’il veut. On peut ne pas le lire et trouver cela répugnant. On peut trouver sa prose minable et le clamer bien haut.

Mais on ne peut pas condamner ses livres, et on ne doit surtout pas les interdire. Ne serait-ce que parce qu’ils nous apprennent que le problème se partage de manière équitable entre ceux qui les écrivent, ceux qui en font commerce et … ceux qui les achètent et les lisent.

En revanche, il faut absolument juger l’homme pour ses actes odieux (que d’ailleurs il revendique) commis dans la réalité.

Roman Polanski est un grand réalisateur, et il est juste que son œuvre soit récompensée. Mais les plaintes contre lui doivent être examinées, instruites et déboucher sur un procès si nécessaire. Il doit être jugé pour ses actes. Comme on le ferait pour un boulanger ou un conducteur de car scolaire.

Parce qu’hélas, on peut parfaitement être un génie et un salaud. Les deux n’ont rien à voir, et il est parfaitement possible de célébrer le génie de l’artiste et de juger les fautes de l’homme

 

Juger une œuvre, la condamner, ce n’est pas juger un fait. Et confondre l’homme et l’artiste a conduit en 1857 le procureur Ernest Pinard à poursuivre, puis à condamner Baudelaire et à interdire six poèmes des Fleurs du Mal. Veut-on vraiment recommencer ces erreurs ?

La moraline n'est plus un choix possible.

 

 

  1. https://cincivox.wordpress.com/2018/01/08/createurs-talentueux-et-viles-crapules

 



01/06/2020
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