Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Linky scission

Paris, juillet 2019

 

Cher Monsieur (ou Madame) EDF,

 

A la réflexion, c’est sûrement chère Madame. Car la sollicitude dont vous fîtes preuve cette semaine à mon égard est bien la marque certaine d’une attention toute maternelle.

 

Je me permets de vous résumer la situation qui me conduit céans à prendre la plume (en fait, à taper sur un clavier. Je ne vis pas au 19ème siècle non plus).
Il y a quelques mois, vous installâtes en mon logis un nouveau compteur électrique. Un compteur branché, numérique, intelligent, un compteur de nouvelle génération, communicant, ….. bref, un compteur moderne. Donc mieux.

Si ! Moderne, c’est forcément mieux.

 

D’ailleurs, il ne s’appelle même plus «compteur» mais « LinkyTM », comme un petit animal de compagnie. C’est vous dire. On a presque envie de lui donner à manger. Sauf que je ne sais pas ce que ça bouffe, moi, un LinkyTM ….Enfin bref.

 

Depuis ce jour béni, cette merveille de la technologie relève, stocke puis vous transmet, toutes les heures ou toutes les demi-heures, mes données de consommation électrique. Passons sur le fait que l’ardente nécessité que vous exprimez par là de connaitre ma consommation en temps réel m’échappe un peu. Mais si cela peut vous faire plaisir….moi, je suis accommodant.

 

Non, je voulais plutôt vous parler de ce qu’il s’est passé la semaine dernière : au départ, une situation anodine, même si plutôt exceptionnelle en cette fin juin : une vague de canicule a saisi la capitale, avec des températures dépassant les 35°C à la station du parc Montsouris, référence comme chacun sait de la météorologie parisienne.

 

En accord avec mon chat, et au vu de la température régnant aux abords du canapé dont, conjointement, nous partageons l’occupation, nous avons dû prendre une grave décision : afin de mettre fin à une transpiration incommodante sous nos poils respectifs (enfin surtout pour l’un d’entre nous, et qui les perd en plus mais bon, je ne veux pas cafter) nous avons décidé, au mépris de la protection de la planète, de mettre en marche pendant quelques nuits le petit bloc de climatisation dont nous fîmes l’acquisition lors d’une précédente canicule il y a quelques années.

Surtout, soyez gentils, n’en soufflez pas mot ni à Greta Thunberg, ni à Marion Cotillard, je n’ai pas envie d’être pendu par les pieds à une éolienne pendant qu’on me lit le recueil des pensées de Yannick Jadot, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Grâce à cet habile stratagème, nous retrouvâmes illico, mon chat et moi, un air plus frais, ce qui nous permit enfin, les pattes en rond, de ronfler à notre guise (enfin surtout l’un d’entre nous, mais bon, je ne veux toujours pas cafter).

Nous dormîmes ainsi, enlacés et sereins, pendant quelques nuits.

 

Jusqu’à ce mail, reçu ce matin :

Bonjour Monsieur Bip (en fait, je ne m’appelle pas Monsieur Bip : c’est juste une tentative désespérée en ce monde connecté pour garder quelque anonymat)

« Ce mois-ci, votre compteur communicant LinkyTM indique que votre consommation d’électricité a évolué….Nous vous proposons de nous contacter au numéro suivant (prix d’un appel local) pour regarder ensemble cette évolution ».

 

En effet, amie EDF. J’ai branché la clim et donc consommé quelques kilowattheures supplémentaires.

Et non, (même au prix, ridicule j’en conviens, d‘un appel local) je n’ai pas envie de t’en parler. Pardonne-moi d’ailleurs cette familiarité soudaine qui me fait quitter le vouvoiement respectueux dont j’usais depuis le début de cette missive, mais, comme le disait (à peu près) le poète :

 

« Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois

Lors de l’installation du compteur LinkyTM »

 

et ça rime, en plus…

 

Ta sollicitude me touche. Mieux, tel l’oiseau coureur australien de la famille des dromaiidés, elle m’émeut.

Et sache que je suis absolument navré si ce geste anodin a gravement perturbé ce que tu croyais savoir de mes habitudes. Je vois bien que tu te soucies de moi ; comme il n’y a pas de cachotteries entre amis alors je préfère te prévenir. Je vais être direct :

Je suis un fou, un dingo, un déglingosse... : s’il fait exceptionnellement froid cet hiver, je risque fort également d’allumer mes radiateurs, voire… horreur…. de brancher un petit radiateur d’appoint.

Si si…

 

Et autre chose, puisque je vois qu’il faut tout se dire. Pour l’instant, ça va plutôt bien de ce côté-là, je te remercie, mais soyons lucide : je ne rajeunis pas.

L’âge venant, il n’est pas déraisonnable d’envisager, dans un avenir que j’espère aussi lointain que possible, qu’une discrète hypertrophie bénigne ne vienne me titiller la prostate, me contraignant ainsi à des mictions nocturnes un peu plus fréquentes. Ne sois pas étonnée alors : afin d’éviter de me ramasser nuitamment le museau dans le couloir, après avoir atomisé la queue du chat, il y a une forte probabilité que j’allume la lumière, signalant ainsi à tes yeux inquiets une consommation inhabituelle à ces heures tardives.


Voilà. Pour le reste, je pense continuer à prendre une douche tiède tous les matins (environ), et à boire mon café chaud. Pour la brosse à dents électrique, je suis prêt à négocier.

Mais si, d’aventure, d’autres changements modifiant ma consommation d’énergie et donc susceptibles de te contrarier intervenaient dans mon morne quotidien, soit certaine que je ne manquerais pas de ne pas te prévenir.

 

J’espère que de ton côté tu n’as pas eu trop chaud au 22-30 rue de Wagram à Paris Cedex 08, et je t’embrasse.

Chaleureusement.

 

P.S J’ai aussi prévu de cuire mon pain demain (four chaud 250°C , 30 minutes). Ne sois pas étonnée.

 



12/07/2019
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