Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

La java des mandibules

 

Paris, juin 2017

 

 

Je vais vous faire une confidence : j’aime faire à manger. Oui. « A manger »

 

Oh, j’entends déjà les ayatollahs de la calorie, les snobs de la papille, les délicats du palais. On ne dit pas « manger », voyons ! On déjeune, on dîne, on soupe, on goûte, on déguste, on picore, on chipote… on brunch, cet hybride entre le breakfast et le lunch …(une excuse pour boire du mauvais vin bio au petit-déjeuner, en fait…)

On apériritive-dinatoire même… Mais on ne mange pas. Manger, c’est sale.

 

Etymologiquement, c’est le « manducare » qui évoque le mouvement des mandibules, des mâchoires. Une activité animale. Beurk.

Cela avait même gravement indisposé Pétrone, le poète latin du premier siècle après Jésus-Christ, qui remplaçait déjà d’ailleurs ce « manducare » forcément populaire par le plus élégant « comedere »..

Les Italiens ont gardé « mangiare », les Espagnols « comer ». Nous, nous avons conservé manger, mais nous semblons le regretter chaque jour. Seuls les pauvres mangent. Les riches, eux, se sustentent, voire se restaurent.

 

Les esthètes dévots (pardon) de la nouvelle cuisine n’aiment pas manger, tel Franck, le cuisinier virevoltant joué par Victor Lanoux dans « Le bal des casse-pieds » d’Yves Robert :

….Franck, ami que seule la jalousie m'autorise à chambrer, était un Cuisinier Gentilhomme : Il offrait à sa cuisine le plus beau des ustensiles : le langage « Ici l'on braise, on blanchit, on blondit, on écume, on affriande, on écorche, on découenne, on escalopine… On ne presse pas un citron, on l'exprime… »

 

Evidemment, pas question ici de pot au feu, de bœuf bourguignon, de blanquette de veau ou de garbure fermière… il nous faut des tartares de légumes, des espumas de tomate, des smoothies et des muffins ou des pâtisseries véganes sans gluten et sans sucre…

 

Faire à manger, c’est donner. Des sensations, du plaisir. De l’amour. C’est incompatible avec le calcul, la mesure, le petit peu, l’étriqué. Il n’y a pas de normes, de règles ou de lois. Même si je préfère un Madiran 2005 avec mon tournedos aux morilles, libre à toi de préférer un Coca ou un jus d’orange, si tu le choisis en connaissance de cause et en accord avec tes papilles (mais goûte quand-même le Madiran d’abord !). La cuisine est férocement généreuse, tolérante, ouverte sur les autres cultures. On traverse le monde en mangeant, et tous les pays y sont beaux. Les religions s’y mélangent. Le goût n’a pas de race, pas de couleur

 

Oui, le vin blanc est bon avec le fromage. Oui, le rouge se marie aussi avec le foie gras. Ose ! Goûte ! Essaie ! Rien n’est interdit. Ici comme ailleurs, les églises sont à renverser. Une seule règle : Cela te plait ? Alors, c’est réussi.

 

Et non, il ne faut pas nécessairement dépenser plusieurs mois de salaires dans l’achat de matériel compliqué que le marché nous vante : blenders, hachoirs, robot pâtissier ou multifonction, robot cuiseur même, Magimix, machine à pain, centrifugeuse, crêpière, extracteur de jus, presse agrumes, émulsionneur… Un mauvais photographe a forcement besoin du dernier appareil à la mode. On peut réaliser des petits miracles avec une poêle, une batterie de casseroles et un mauvais four.

 

Faire à manger, ce n’est pas compliqué. C’est ce que les cuistres de cuisine ont voulu te faire croire. Il suffit de vouloir et d’aimer. Tout le monde peut réussir une soupe aux légumes, excellente si les légumes sont bons …et un bon vieux mixer, voir un simple presse-purée suffit. Avec une grille fine.

Et une pointe de crème fraiche.

 

Alors… On mange ?



12/06/2017
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