Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

La gauche M12

 

Paris, juin 2022

 

 

 

 

Le 12 janvier 2012 fut un jour funeste.

 

C’est en effet ce jour maudit que fut promulgué un arrêté qui allait modifier gravement, comme nous allons le voir, notre relation à l’autorité et comme qui dirait faire trembler sur leurs bases déjà vacillantes les fondements de notre civilisation séculaire qui nous apporta jadis les cathédrales, le moteur à explosion et la CRG/CRDS déductible.

Ce jour-là, un gouvernement imbécile a modifié le principe du « La loi est dure, mais c’est la loi » en : « C’est interdit par la loi, mais faut voir, ça se discute, dans certains cas c’est permis », par ailleurs beaucoup plus difficile à traduire en latin que « Dura Lex sed lex »

 

Oui, c’est ce jour-là qu’a été créé le panneau M12.

 

J’en vois déjà certains qui s’interrogent : Mais qu’est-ce que le panneau M12 ?

Ceux qui se posent cette question font probablement partie des quelques bienheureux qui n’ont pas besoin de se déplacer en conduisant un véhicule sur nos belles routes françaises :

Piétons, adeptes du métro, du bus, des cars Macron ou bénéficiant des services d’une limousine avec chauffeur (ce qui est peu probable parmi mes lecteurs -bande de pauvres- ), ils peuvent en toute quiétude ignorer le Code de la Route, et plus particulièrement donc cet « arrêté du 12 janvier 2012 modifiant l'arrêté du 24 novembre 1967 relatif à la signalisation des routes et des autoroutes et portant création d'une signalisation visant à autoriser un mouvement directionnel pour les cyclistes dans les carrefours à feux ».

(Respirez ici)

 

Que dit ce texte ?

« Lorsque le signal lumineux impose l'arrêt, un panonceau de type M12 autorise les cyclistes à franchir la ligne d'arrêt du feu pour emprunter la direction indiquée par la flèche en respectant la priorité accordée aux autres usagers. »

 

 

 

Tout d’abord, rendons à Pompée ce qui n’est pas à César : c’est dans un cerveau de droite qu’a germé cette idée incongrue.

Le texte est en effet signé conjointement par deux membres du gouvernement Fillon III, la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement Nathalie Kosciusko-Morizet,  et le ministre de l'intérieur, de l'Outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, Claude Guéant.

Oui, paradoxalement, c’est à droite qu’est née cette idée qu’une loi  (« Règle de droit écrite, de portée générale et impersonnelle qui s’applique à tous sans exception et que nul n’est censé ignorer ») peut… et bien…ne pas s’appliquer à tous sans exception et être parfois ignorée.

 

Pour être appliquée, une loi doit être simple. Et le code de la route, encore plus. Rappelons ici que tout citoyen est amené un jour ou l’autre à « prendre sa place dans le trafic » (F. Cabrel, 1981) et que malheureusement, cela vaut aussi pour quelques individus un peu cons.. un peu constitutivement limités intellectuellement .

Il y en a. Même chez les cyclistes. Ceux-là même qui ne liront jamais la phrase jusqu’à « en respectant la priorité accordée aux autres usagers. ». Mais passons. L’insulte du piéton qui ne demande rien et les fractures subséquentes de col du fémur de vieillards cacochymes n’est pas l’objet de cette chronique.

 

Revenons plutôt sur la philosophie sous-jacente au panneau M12 .

Avant, la loi était de nature à être comprise par tous : à pied, à cheval ou en voiture, quand c’est rouge, on s’arrête et quand c’est vert on passe.

Ce texte introduit le ver dans le fruit : la notion de loi optionnelle, d’interdiction à géométrie variable qui va rapidement faire des ravages en s’installant de manière sournoise dans les esprits de certains.

 

Sur le principe d’une loi qui s’applique à tous (Code de la route) sauf à une certaine communauté désignée (les cyclistes), on a vu en effet se généraliser, quelques années plus tard et principalement à gauche, les valeurs politiques équipées de panneaux M12 , le plus souvent communautaristes également.

 

 

 

 

Parce que oui, ami lecteur jeune. Avant, la gauche avait des valeurs. Avant que ce mot ne devienne synonyme de droite rance, voire de fascisme larvé. Des valeurs sur lesquelles elle construisait sa pensée : plutôt pacifiste, non violente, démocratique, elle condamnait les attaques personnelles. Respectueuse du débat et de l’échange, elle croyait à l’éducation et à la science, en se méfiant des religions et de leurs prêtres. Elle défendait d’abord les plus faibles, les plus pauvres en les protégeant de l’exploitation d’une classe dominante et des violences des délinquants.

 

Aujourd’hui, tel un cycliste moyen devant un panneau M12, la gauche -ma gauche- s’autorise à passer outre un certain nombre de ces valeurs . Voyons quelques exemples

 

La défense du prolétaire et de son corps :

 

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !  (en allemand : Proletarier aller Länder, vereinigt euch!), disaient Karl Marx et Friedrich Engels dans leur conclusion du Manifeste du Parti communiste, publié en 1848. Qu’on le veuille, ou non, c’est l’une des bases de la pensée dite « de gauche ».

Rappelons que le prolétaire était, dans l’antiquité, ce «citoyen de la dernière classe de la société romaine, qui n'était considéré comme utile que par les enfants (proles) qu'il engendrait» (dérivé de proles «race, lignée, enfants»)… « Son seul espoir de richesse était dans les enfants qu'il pouvait procréer » (définition du CNRTL)

Plus tard, la définition du prolétaire selon Marx  se fera aussi par le corps, en fixant ce théorème : le prolétaire est celui qui ne possède rien, sinon son corps et ce qui en est extrait : la force de travail et la progéniture.

Tous les combats de la gauche se sont basés ensuite sur la dénonciation du vol du corps du prolétaire par la bourgeoisie et donc sur la protection de celui-ci.

Parmi ces corps exploités, le corps de la femme  tient une place particulière à gauche et Marx (encore lui !) déclarait : « Dans la famille, l’homme est le bourgeois, la femme joue le rôle du prolétaire »

« La femme est le prolétaire du prolétaire » ajoutera même Flora Tristan, une militante socialiste française.

 

Mais pour la gauche M12, le corps prolétaire n’est plus sacré. Une « tolérance de l’intolérable » se met en place, sorte de panneau M12 permettant l’utilisation et la marchandisation :

 

 

Prenons d’abord l’exemple du viol, qui devrait constituer pour la gauche le symbole ultime de l’utilisation du corps de la femme mais qui devient pour certains presque excusable lorsqu’il intervient dans certaines circonstances .

 Houria Bouteldja, membre du Parti des Indigènes de la République (PIR), proche d’ATTAC, et « camarade » de Danièle Obono, député France Insoumise,  estime ainsi que le viol, cette violence du « patriarcat indigène » n’est jamais qu’une réaction violente des hommes « racisés » contre un « système raciste ». « Il faudra deviner dans la virilité testostéronée du mâle indigène la part qui résiste à la domination blanche » . D’ailleurs « Pour moi, le féminisme fait effectivement partie des phénomènes européens exportés »

 

Pour une autre adhérente du PIR,  (Malika Salaün), c’est encore plus clair : En déclarant qu’ « il n’y a pas d’universel du viol » , elle lutte contre « l’idée d’un crime naturel et inéluctable qui prend le même sens en toute circonstances ».

 

Oui, vous avez bien lu. Pour cette gauche, à la condition du panneau M12 de la communauté, de la couleur ou d’une « race » fantasmée, le viol peut avoir un sens

Comparant ensuite les viols commis sur des Amérindiens et des viols commis sur des européennes par des Amérindiens, elle déclare que c’est une erreur de les comparer « alors que les deux sont sans commune mesure : outil de génocide dans un cas, instrument de vengeance ou fait divers dans l’autre »

 

Un autre exemple ? Pour cette gauche-là, la location contre espèces sonnantes et trébuchantes d’un utérus pauvre au bénéfice d’un corps riche devient défendable et même souhaitable, et c’est la G.P.A . la Gestation Pour Autrui. On revient ici, dans un boomerang idéologique vertigineux, à la définition même du prolétaire, machine à engendrer.

L’exploitation de l’homme par l’homme, c’est du capitalisme, mais l’exploitation de la femme par l’homme, … faut voir. Panneau M12, encore !

 

La religion

 

A nouveau, revenons à la base de la pensée de tonton Karl : « La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple... La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole. »

Ici encore une pensée simple : « L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel »

Abolir les religions. Donc les combattre. Cette gauche-là n’est pas seulement laïque, elle est clairement athée. Les paroles de l’Internationale le rappellent d’ailleurs : « Il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni Cesar, ni tribun »

 

Cette règle s’applique d’ailleurs parfaitement à deux monothéismes sur trois, cibles fréquentes des attaques de la gauche. Ne parlons pas du judaïsme, ou l’antisionisme d’une certaine gauche ressemble furieusement à un antisémitisme et intéressons-nous au catholicisme.

Faut-il rappeler ici que l’amour libre, la contraception, le divorce , les droits des homosexuels, le mariage gay ont été conquis grâce aux combats contre l’église catholique de l’époque.

Le sexisme qui place la femme en position inférieure, l’exaltation de sa pureté et de sa virginité, la condamnation de sa sexualité libre, l’obligation qui lui est faite de couvrir son corps,  l’homophobie affichée et revendiquée, ont été combattus lorsqu’ils étaient défendus par l’église catholique : Encore aujourd’hui, à chaque attaque du droit des homosexuels ou du droit à l’avortement, et c’est bien ainsi, la partie la plus rétrograde de l’institution catholique est attaquée et combattue, les catholiques traditionnalistes traités de fachos réactionnaires et conspués.

 

En revanche, panneau M12 concernant l’islam qui doit être défendu par « respect de la culture » ou par quelque obscure culpabilité post coloniale: participations d’élus aux fêtes religieuses, défense du port du voile jusqu’en dans les piscines, attitude compréhensive  envers des propos homophobes…

 

 

Et cette gauche dérive parfois bien loin…

  • Virginie Despentes, (éternelle auteur de « Baise-moi » et madone des Inrockuptibles) « a aimé »  les terroristes islamistes de Charlie Hebdo qui « avaient décidé de mourir debout plutôt que de vivre à genoux . J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. » (Inrocks, 17 janvier 2015)
  • Edwy Plenel, (ex trotskyste fondateur de Mediapart, admirateur des terroristes de Septembre Noir) estime que « la proclamation de la liberté d’expression n’implique pas que notre vie publique doive s’abaisser et s’égarer dans la détestation d’une partie de notre peuple en raison de sa religion »(Mediapart 20/01/2015)
  • La jeune Mila, pour avoir écrit simplement « L’islam, c’est de merde », se retrouve avec plus de 30000 messages de menaces de morts, doit se déscolariser et déménager, dans le silence assourdissant des associations féministes ou/et de gauche qui n’auront pas un mot pour la défendre.

 

Les luttes deviennent intersectionnelles, comme le fameux panneau M12 posé, également, aux intersections.

 

Mais l’intersectionnalité suppose une addition des oppressions : combat contre le sexisme ET contre la religion pour défendre les droits des femmes par exemple. Ici, la religion excuse la misogynie. Les diktats sur le corps des femmes doivent être compris en passant par le prisme du religieux. C’est l’exclusion, et non l’intersection.

 

Critique de la religion, mais pas pour tous.  Panneau M12, encore.

 

L’essentialisme contre l’existentialisme

 

Jean-Paul Sartre (un penseur de gauche , je le rappelle pour les éventuels footballeurs ou youtubeurs qui se seraient fourvoyés ici) a dit : « L’existence précède l’essence ». En clair qu’il soit homme ou femme, blanc ou noir, riche ou pauvre , « “L'Homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après […] L'Homme n'est rien, il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait

Il y a prééminence de l’existence (d’où le nom d’existentialisme) sur l’essence (race, couleur ou religion).

A l’opposé donc de cette gauche qui brandit régulièrement le panneau M12 du communautarisme, en nous commandant de réagir et de penser EN TANT QUE  femme, « racisé », ou gay.

C’est ainsi qu’ils en arrivent à organiser des réunions en non-mixité, d’où les hommes ou les blancs , ou….seront exclus, non en raison de leurs idées, mais en raison de leur génétique. De leur essence, donc.

 

La libre expression et la parole démocratique 

Qu’elle soit morale ou politique, la censure a toujours été combattue par la gauche, pour qui la démocratie et le respect de la valeur de l’opinion du peuple étaient essentielles.

Il a désormais ici aussi un nouveau panneau M12, brandi par cette nouvelle gauche dite « woke ».

Rappelons que ce terme woke (« éveillé ») désigne le fait d'être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l'égalité raciale. Etonnante façon d’exclure, en définissant les existentialistes rebelles qui considéreraient que tout n’est pas basé sur la situation sociale ou la « race » comme des « endormis ».

Cette gauche « woke » est avide de censure. Vite il faut annuler (de force si nécessaire) l’expression d’idées différentes, comme le ferait un bon vieux totalitarisme de droite

Annuler (to cancel en anglais), d’où le nom de « cancel culture », même si ces deux mots sont sans doute le plus parfait oxymore que puisse imaginer une pensée de gauche. Liberté d’expression de gauche, certes, mais panneau M12 pour les idées qui déplaisent.

 

 Les exemples pullulent :

 

1- La philosophe Sylviane Agacinski, Madame Jospin à la ville, dont une conférence fut annulée à l’université de Bordeaux sous la pression de diverses organisations de gauche étudiantes (dont Solidaire.s), qui alla jusqu’à menacer dans un tract de «  tout mettre tout en œuvre afin que cette conférence n'ait pas lieu » Le crime de S. Agacinsky ?

- Être contre la GPA et la PMA pour toutes les femmes. Voir dans la GPA « une forme inédite d'esclavage » qui « s'approprie l'usage des organes d'une femme et le fruit de cet usage » .

- Être coupable d’avoir écrit « «Avec le développement des biotechnologies, le corps devient une "ressource" nécessaire à certaines méthodes thérapeutiques, comme la transfusion sanguine, la greffe de tissus et d'organes, ou encore un "matériau biologique" nécessaire aux technologies de la reproduction humaine. Le corps humain vivant, charnel, devient un corps utilisable – tantôt pour la recherche, pour les traitements médicaux, ou pour la procréation assistée.» 

 

2- La lecture-débat de la Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes de Charb, le journaliste de Charlie Hebdo assassiné, organisée par l’université Paris Diderot.  Après deux annulations de lectures à Lille, le syndicat « Solidaires Etudiant-e-s » (encore lui) réclame, cette fois l’annulation de cet évènement qui « participe à ce mouvement de construction raciste d’un « ennemi intérieur ». Les étudiants « refusent que [leur] université soit un lieu où s’épandraient ces idées nauséabondes » et estiment que leur université « n’a pas à servir d’engrais aux actes islamophobes » Avant de conclure : « Notre université doit être libre, ouverte à chacun-e » en poursuivant, sans aucun sens de ridicule et à la ligne suivante « Pour ces raisons, nous demandons l’annulation pure et simple de cet évènement ».

Une université libre et ouverte, mais fermée à une lecture-débat.

 

3- L’annulation de la représentation de la tragédie « Les Suppliantes », premier volet des Danaïdes d’Eschyle, à l’université de la Sorbonne. Selon le communiqué de la présidence de l'université « Les comédiennes et comédiens ont été empêchés de force de rentrer se préparer et le public a été tenu dehors par des individus accusant la mise en scène de racialisme » .

Le metteur en scène Philippe Brunet a voulu marquer l’opposition entre les grecs d’Argos supposés plus ou moins blancs et les Danaïdes d’Égypte à la peau plus noire. Une comédienne blanche a donc été recouverte d’une peinture cuivrée ... Pour les étudiants et les associations (de gauche) qui se sont mobilisés sur les réseaux sociaux c’est un cas de « BlackFace » c’est à dire une façon stéréotypée et raciste de se grimer en noir lorsqu’on est blanc.

 

On pourrait ainsi multiplier les exemples.

 

Nous sommes dans ce moment douloureux ou nos amis deviennent nos ennemis, et il serait grand temps que pour la gauche, un feu rouge redevienne un feu rouge.

 

Tout simplement.

Démocratie, liberté d’expression, protection du plus faible, respect inconditionnel du corps des femmes, combat contre les religieux attardés misogynes ou homophobes ne sont pas des valeurs facultatives.

 

 

 

 



29/06/2022
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