Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

La Chansonnette du Sansonnet

 

Paris, novembre 2014

 

Mesdames, Messieurs,

 

Dans le cadre des causeries du GORET (Groupement Ornithologique Rigolo Et Transrhinoscope*), vous voudrez bien trouver ci-après le texte intégral de la conférence donnée le 27 octobre 2014 par le Professeur Krane de PIAF et intitulée: « l’étourneau Sansonnet, sa vie, son œuvre »

 

(*pour mémoire, la transrhinoscopie est définie comme « la capacité de voir plus loin que son nez »)

 

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Chaque année, des vols d'étourneaux sansonnets traversent le ciel gris de novembre et choisissent de s'arrêter dans nos belles villes de France, sur la route de leur migration en provenance de l'ex-Union Soviétique, et tout particulièrement d’Ukraine.

Très grégaires à cette époque de l'année, ils envahissent alors nos villes et constituent des dortoirs dont les effectifs peuvent compter plusieurs centaines de milliers d'individus. Ces dortoirs sont à l'origine de nuisances importantes, notamment pour les voitures stationnées sous les perchoirs de nuit.

A ce sujet, je vous laisse méditer la question de Pierre Légaré(1), l’humoriste québécois : pourquoi « les crottes d'oiseaux sur une voiture blanche, c'est noir et sur une voiture noire, c'est blanc? »

 

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Vous avez également peut-être eu la chance de voir ces vols, composés de plusieurs milliers, voire dizaine de milliers d’individus : le nuage s’étire, se dilate, puis se densifie avant de changer de direction comme une vague…

 Ces nuages ont fasciné les chercheurs, qui ont voulu comprendre à qui ou à quoi obéissaient ces mouvements (2&3).

 Leur conclusion : aucun oiseau ne mène l’ensemble. Aucun leader, ni hiérarchie, donc…. Mieux, quel que soit la taille du nuage (et donc le nombre d’individus), et que les individus soient distant de 20 centimètres ou d’un mètre, chaque oiseau n'interagit qu'avec un maximum de sept de ses plus proches voisins. Les mouvements de chaque individu sont ainsi influencés par ceux des autres, comme si tous étaient reliés entre eux, permettant une coordination parfaite de l’ensemble.

Pour faire simple, le comportement de chaque individu est déterminé par celui de ses voisins : c’est ce que l’on appelle l’allélomimétisme, que l’on pourrait traduire de la manière suivante : ce qui assure la cohésion du système, c'est la tendance de chacun à faire la même chose que ce que fait son voisin.

 

N’en tirons aucune conclusion politique hâtive…

 

On peut néanmoins en déduire que l’étourneau sansonnet suit la pensée de Nietzsche, qui disait : « Veux-tu avoir la vie facile? Reste toujours près du troupeau, et oublie-toi en lui »(4).

 Et mine de rien, nous venons donc ici d’inventer le concept d’oiseau Nietzschéen, ce qui n’est tout de même pas rien, vous en conviendrez.

 

Certains ont été jusqu’à prétendre que le comportement des traders sur les marchés financiers obéissait également à ce mimétisme : il suffit que quelques-uns de ces opérateurs financiers décident de vendre pour que, de proche en proche, la décision se propage à un très grand nombre d'agents, provoquant ainsi une crise financière…

 Mais cela voudrait dire que la finance internationale est contrôlée par des têtes de piafs, ce que je me refuse personnellement à croire.

 

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Mais revenons au thème principal de notre causerie : Etourneau sansonnet, qui es-tu ? Hmm ?

 

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L’étourneau sansonnet (ou Sturnus Vulgaris) est une espèce de passereau de la famille des sturnidés, nous dit le dictionnaire. Voilà qui ne nous avance guère. Enquêtons donc tout d’abord sur son double nom, puisqu’il est indifféremment appelé étourneau ou sansonnet :

 

Etourneau : Tout d’abord, tordons le coup à l’étourneau  euh non, à une idée reçue : l’étourneau ne doit qu’au hasard de la phonétique sa réputation d’étourderie. Il n’est pas plus tête en l’air que vous et moi. Enfin surtout que vous.

 Son nom viendrait plutôt du bas latin Sturnellus, lui-même issu d’une racine indo-européenne que l’on retrouve dans plusieurs autres langues : en allemand (Stern), en Danois (Stjerne,) ou en Anglais (Star) et qui veulent tous dire « étoile ». En effet, pendant la période de reproduction, l’étourneau revêt son plus beau plumage scintillant pour draguer l’étournette. Son ventre ressemble alors à une nuit étoilée (voir photo). Enfin, avec beaucoup d’imagination.

 

Comment vous décrire l’oiseau ? Globalement, et vu par un sombre après-midi de novembre, il semble noir et je sais des ornithologues approximatifs du dimanche qui le confondent avec un merle.

Pas sexy, sexy, comme piaf : Selon Jean Baptiste Bonaventure de Roquefort, dans son « Dictionnaire étymologique de la langue Françoise où les mots sont classés par famille », paru en 1829, il s’agit d’une « sorte d’oiseau très remuant et fort bruyant, noirâtre et tacheté». Difficile de faire moins sympa, comme définition. Moi, je crois plutôt que ce garçon était un peu furieux d’avoir ce nom ridicule (Bonaventure de Roquefort) et que, du coup, il se vengeait sur des piafs qui ne lui avaient rien fait.

Dans le sens figuré, et par analogie phonétique dont on parlait plus haut, un étourneau est devenu ensuite une personne irréfléchie, un jeune homme présomptueux. Ce sens a été utilisé par Molière, dans « Sganarelle ou le Cocu imaginaire » :

 

Ah ! Truande, as-tu bien le courage

De m’avoir fait cocu dans la fleur de mon âge

Et femme d’un mari qui peut passer pour beau,

Faut-il qu’un marmouset, un maudit étourneau…

 

Et voilà comment un oiseau attrape une réputation de tête en l’air. Jean-Baptiste, les étourneaux ne te remercient pas !!

 

Sansonnet : Ici, l’étymologie est plus discutée : certains y voient un diminutif de Samson, le personnage de l’ancien testament auquel on avait (après la trahison de Dalila) crevé les yeux avant de l’enchaîner. L’oiseau était en effet souvent tenu en cage, tel un petit Samson, un Sansonnet.

Sornettes et billevesées, rétorquent d’autres, il s’agit d’une évolution du mot sas (ou crible), ayant donné sassonet (l’oiseau étant criblés de petites tâches).

D’autres encore évoque « Chansonnet » en raison du chant de l’oiseau. Bref, les avis divergent. Et divergent, c’est énorme aurait-dit le regretté Pierre Desproges (que Dieu ait son âme, et moi-même, Dieu lâche la mienne).

 

Deux choses à noter concernant ce mot de sansonnet :

 

  • Tout d’abord, il est passé dans une expression commune : « De la roupie de sansonnet » pour désigner quelque chose d’insignifiant, de valeur négligeable. Quel rapport avec l’oiseau me direz-vous ? Aucun. Au Moyen Age, le terme de roupie désignait la « goutte au nez ». Chose qui vous l’admettrez, est de peu de valeur. Mais si elle est ensuite « sans son nez », c’est-à-dire privé de l’organe émetteur, elle devient encore moins que rien. Elle devient en quelque sorte l’équivalent du célèbre couteau de Lichtenberg, défini philosophiquement comme « un couteau sans lame auquel ne manque que le manche », c’est-à-dire un presque rien.
  • Plus drôle, sansonnet est synonyme de « pet discret » en 1532 chez Rabelais et décrit un certain pet (également discret) des galantes du XVIIIe. Origine proposée : « sans son est » c’est-à-dire non voulu, à l’insu de son plein gré….(5)

 

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A part cela, l’oiseau est très intelligent : il a une vie sociale très développée et possède un chant très varié : sifflet mélodieux, cris rauques, claquements métalliques, gazouillis, cliquetis, grincements, bavardages et gargouillements, jusqu'aux imitations réussies de sons tels que les chants d'autres oiseaux, les téléphones, les carillons de porte et les klaxons…

 

Certains chercheurs (6) ont même découvert que les oiseaux qui chantent le mieux (nombre de chants par heure et durée de ce chant) sont également ceux qui ont le meilleur système immunitaire. Grâce à ce plus beau chant, ils attireront donc plus facilement les femelles et transmettront ainsi leurs gènes, garants d’un bon système de défense à leurs oisillons. Comme quoi bien causer, ça aide à emballer les gonzesses… Mais je m’égare.

 

Il peut aussi apprendre à parler et c’est pour cela qu’il était autrefois capturé et mis en cage dans nos vertes campagnes françaises. Selon Georges-Louis Leclerc, Comte de Buffon (c’est-à-dire le naturaliste Buffon..)(7) : «Un étourneau peut apprendre à parler indifféremment François, Allemand, Latin, Grec, etc. et à prononcer de suite des phrases un peu longues : son gosier souple se prête à toutes les inflexions, à tous les accens. Il articule franchement la lettre R et soutient très bien son nom de sansonnet ou plutôt de chansonnet par la douceur de son ramage acquis, beaucoup plus agréable que son ramage naturel ».

 

Mais il ne faut pas exagérer tout de même, et il semblerait qu’à ce sujet notre ami Pline l’Ancien (écrivain et naturaliste Romain du premier siècle après J.C) se soit un tantinet emballé :

 

« … Pline a écrit que les deux jeunes princes Drusus et Britannicus, fils de l’empereur Claude, avaient un étourneau qui parlait grec et latin, étudiait seul les leçons qu’on lui donnait, disait tous les jours quelque chose de nouveau et répétait quelquefois des discours entiers et suivis. Assurément le merveilleux surpasse ici la vérité. Ce qu’il y a de certain, c’est que les anciens faisaient grand cas de la chair de cet oiseau ; qu’ils en servaient souvent sur leur table, quoique ce soit un assez mauvais met, la tête ayant une odeur de fourmi et la peau étant amère. »(8)

 

Ben oui, parce qu’on consomme encore assez souvent, de nos jours, l’étourneau sous forme d’un pâté (la fameuse terrine de sansonnet) ou de salmis.

 Buffon confirme d’ailleurs le goût moyen de l’animal, mais en suggère une autre utilisation :

 

« En disséquant un jeune étourneau de ceux qui avaient été élevés chez moi, j’ai remarqué que les matières contenues dans le gésier et les intestins étaient absolument noires, quoique cet oiseau eût été nourri uniquement avec de la mie de pain et du lait : cela suppose une grande abondance de bile noire, et rend en même temps raison de l’amertume de la chair des oiseaux, et de l’usage qu’on a fait de leurs excréments dans les cosmétiques »(6).

 

Dégoûtant, pensez-vous et digne d’un autre âge ? Pas tant que cela : un produit cosmétique à la mode de nos jours, le Geisha, tire son nom de l'utilisation ancestrale des excréments d’un autre oiseau, le rossignol, par les courtisanes japonaises, dont la peau s’abîmait en raison du haut niveau de plomb de leur maquillage blanc. Il coûte 180 dollars dans les salons de beauté de New York.(9)

 

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L’étourneau sansonnet est omnivore et peut s’adapter à toutes sortes de nourriture. Il a néanmoins un fort penchant pour les fruits (cerises, olives, raisin…) ce qui pourrait bien lui poser quelques problèmes. En effet, la plupart des fruits sucrés qu’il consomme sont fermentés et contiennent donc des quantités importantes d’alcool : certains animaux n’y résistent d’ailleurs pas et on a pu voir récemment, dans la banlieue de Stockholm, des élans ayant abusé de pommes fermentées (et donc imbibés comme des biscuits dans un Tiramisu) rendus agressifs par l’alcool, se mettent à attaquer des passants ! (10)

Si un animal de la taille d’un élan peut se retrouver ivre, imaginez l’effet sur un petit oiseau de moins de 100g comme l’étourneau…

 

Et bien pas du tout, vous ne verrez jamais un étourneau ivre : même après plusieurs tournées de pommes fermentées, l’étourneau peut sans problème se tenir sur une patte en touchant son bec avec son aile (même s’il s’y risque rarement) et ne chante qu’exceptionnellement la Marseillaise en Breton. Pourquoi donc, me direz-vous ?

 C’est la question que s’est posée le Professeur Roland Prinzinger, grand ornithologue allemand (11) de la région de Francfort.

 

Après avoir fait boire des étourneaux (les chercheurs ont parfois des distractions bizarres…), il a démontré qu’ils pouvaient métaboliser l'alcool à une vitesse exceptionnelle … La raison : une des enzymes impliquées dans la dégradation de l’alcool (l’alcool déshydrogénase) est …. 14 fois plus active chez l’étourneau que chez l’homme. Pour une quantité équivalente d’alcool (rapportée au poids de la bête, bien sûr !), un homme mettra 30 heures à récupérer alors que l’étourneau sera frais comme un gardon en un peu plus de deux heures (130 minutes). Ainsi cet oiseau peut consommer en abondance des fruits fermentés sans être saoul car l'alcool disparait très vite.

 

La prochaine fois, ne cherchez pas votre capitaine de soirée… A la sortie de la boîte de nuit, attrapez donc un étourneau !

 

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Néanmoins, même si je ne voudrais pas finir sur une note inquiétante, je vous dois la vérité. Les étourneaux, s’ils ont peu de problèmes avec l’alcool, supportent en revanche assez mal les antidépresseurs selon une étude récente (12).

 

Quel rapport entre les antidépresseurs et l’étourneau, me direz-vous ? Suivez le guide : à force de vous gaver de petites pilules de toutes les couleurs, pour oublier au choix (ou successivement) l’augmentation de vos impôts, la diminution de votre salaire, ou le dernier album de Lara Fabian, une partie des médicaments ingurgités se retrouvent (via vos toilettes) dans les eaux usées, puis dans les boues des stations d’épuration, boues qui sont ensuite utilisées en épandage pour l’agriculture. Une fois étendues sur le sol et mélangées avec de la terre, elles attirent toute une série de bestioles, en particulier des vers de terre, dont sont friands nos amis étourneaux.

Cette étude allemande a calculé par exemple que les étourneaux se nourrissant à proximité de stations d’épuration ou sur des champs d’épandage avalaient en moyenne (via les vers de terre) une dose d’environ 0.9 microgrammes par jour de Fluoxetine, plus connu sous le nom de … Prozac.

Ils ont ensuite étudié le comportement de ces individus en comparaison avec un groupe témoin : « L’effet principal est la perte d’appétit » : les oiseaux ayant consommé des antidépresseurs « mangent beaucoup moins et grignotent toute la journée. Ce qui diminue leur chance de survivre pendant les longues et sombres nuits d’hiver ». Mais ils n’ont pas seulement perdu l’appétit : quand on présente un mâle à une femelle sous Prozac, elle reste au milieu de la cage, regarde ailleurs et n’est absolument pas intéressée ... Libido zéro pour l’étourneau accro et ramollo.

 

En revanche, toujours selon les auteurs de l’article, leur humeur semble inchangée mais ils avouent eux-mêmes que leur estimation est basée sur des études du comportement, qui peuvent donc donner des réponses imprécises car « il est impossible de demander à un oiseau s’il se sent plus ou moins anxieux »…

 

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Mis en cage, chassés, cuisinés en salmis ou en pâté, moqués, alcoolisés et drogués aux antidépresseurs…Si les étourneaux pouvaient parler comme Pline l’Ancien le croyait, ce qu’ils diraient ne serait sans doute pas très aimables pour les humains.

 

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BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

  1. Pierre Légaré : Mots de tête – Editions Alain Stanké
  2. Ornithomedia.com “Les vols d'étourneaux fonctionnnent comme des systèmes critiques »
  3. Scale-free correlations in starling flocks : Andrea Cavagna, Alessio Cimarelli, Irene Giardina, Giorgio Parisi, Raffaele Santagati, Fabio Stefanini and Massimiliano Viale ; Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America,June 29, 2010 vol. 107 no. 26, 11865–11870
  4. Friedrich Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra – 1883
  5. Pour tout l'or des mots, par Claude Gagnière. Laffont/Bouquins,
  6. Johns Hopkins University. "Male Starlings Sing A Song Of Reproductive Fitness." ScienceDaily, 19 April 2002. <www.sciencedaily.com/releases/2002/04/020419065041.htm>.
  7. Oeuvre d’histoire naturelle par Monsieur le comte de Buffon – Oiseaux Tome cinquième
  8. Histoire des progrès de l’esprit humain dans les sciences et dans les arts qui en dépendent -Alexandre Saverien - 1778
  9. Fertilizer for the Face? New York Times. By ALIX STRAUSS - Published: July 4, 2012
  10. Libération : 28 août 2013
  11. Alkoholaufnahme und Alkoholabbau beim Europäischen StarSturnus vulgaris - Roland Prinzinger & Ghassem Ahmed Hakimi - Journal für Ornithologie July 1996, Volume 137, Issue 3, pp 319-327
  12. Behavioural and physiological responses of birds to environmentally relevant concentrations of an antidepressant - Tom G. Bean, Alistair B. A. Boxall, Julie Lane, Katherine A. Herborn, Stéphane Pietravalle and Kathryn E. Arnold - Phil Trans R Soc B November 19, 2014




02/11/2014
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