Fiat Lux (Que la lumière soit)
Paris, septembre 2013
Il y a certaines expressions qui me plongent dans des abîmes de perplexité.
Eclairer la lanterne (de quelqu’un) est l'une d'elle.
Tout d’abord, pourquoi donc vouloir éclairer une lanterne, si ce n’est pour l’allumer ? C’est le seul intérêt de l'objet, sa finalité unique, disons. Une lanterne sans lumière, c’est comme Bouvard sans Pécuchet ou Roux sans Combaluzier. Osons le dire, c’est une lanterne terne.
Nous avons donc une première lanterne, éteinte.
Et c'est là que surgit la question existentielle qui nous place face au néant : Comment éclairer cette lanterne, si ce n’est à l’aide d’une autre lanterne ?
Et là je vous pose la question. Qui a allumé cette seconde lanterne?
La spirale vicieuse ne vous aura pas échappé, et pour en sortir, deux solutions s'offrent à nous (les cochonnes !)
- Ou on décide d’ignorer le mode opératoire de l’allumage de cette seconde lanterne (vous me suivez toujours?) et dans ce cas, pourquoi vient-on m'agacer le néocortex avec la nécessité d'éclairer la première?
- Ou il faut une troisième lanterne, puis une quatrième.... le vertige métaphysique s’installe, et on peut alors légitimement se demander qui a allumé la lanterne primordiale ?
On peut certes remonter jusqu'à Diogène de Sinope, dont il est attesté que la lanterne était allumée lorsqu’il cherchait un homme, mais avant?
Prométhée ? C’est vrai qu’il n’est pas complètement blanc-bleu, vu qu’il a piqué le feu aux Dieux pour le donner aux hommes. Mais avant ?
Qui est responsable du premier allumage de feu ?
Dieu? Un être suprême? Le hasard et/ou la nécessité? Johnny Hallyday?
L’ange rebelle et déchu, révolté contre Dieu…. Lucifer, étymologiquement le « porteur de lumière »?
Ou Dieu lui-même, puisque chacun sait que « Dieu est lumière » (Jean 1:5-10). Alors ?
A ce stade de la réflexion, il nous faut donc admettre notre ignorance, et, telle la chèvre qui ne sait pas, la laisser béer.
On pourrait certes explorer la pensée de Jacques Pater* qui précise que : « …les Apôtres, prenant leur Messie pour une lanterne, partirent éclairer le Monde. » (Ce même auteur flamboyant précisait par ailleurs que « «Qui trop embrase, mal éteint.»).
Mais avouez qu’on ne s’attendait pas à remonter au questionnement sur la source primitive de l’Energie à partir d’une expression qui semblait sans histoire.
Cependant, en étudiant l’expression de plus près, on se rend compte qu’il n’est sans doute pas nécessaire de se jeter sur sa boîte d’anxiolytiques favoris :
Sots que nous sommes ! Il ne s’agit pas en fait d’éclairer une lanterne (afin de la rendre visible) à l’aide d’une autre lanterne, ce qui nous avait entrainés trop promptement vers la pente dangereuse de l’angoisse métaphysique,
On parle ici d’éclairer la lanterne de l’intérieur, de « l’allumer » en quelque sorte (à l’aide d’une source d’ignition quelconque).
Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794) - qui est à la fable française ce que Poulidor est au cyclisme, c'est-à-dire l’éternel second - semble être à l’origine de l’expression, dans une fable intitulée « Le singe qui montre la lanterne magique ».
Cette fable avait pour louable objet de convaincre les « beaux esprits » de l’époque de s’exprimer clairement afin d’être compris, et on ne peut que saluer le côté innovateur et avant-gardiste de J.P, qui pourrait avec bonheur être remis à l’honneur de nos jours, à l’usage des auteurs de certains discours « novlanguais » mais non, je ne donnerai pas de noms…
(Merci de respirer ici)
Lisons donc J.P.C.D.F. :
« Messieurs les beaux esprits dont la prose et les vers
sont d'un style pompeux et toujours admirable,
mais que l'on n'entend point, écoutez cette fable,
et tâchez de devenir clairs. »
Afin de convaincre ces beaux esprits, il raconte l’histoire d’un homme qui possédait une lanterne magique (ancêtre -préhistorique et même pas HD- de la télévision) et un singe savant nommé Jacqueau.
Bon, d’accord, c’est plutôt un nom de perroquet** mais chacun fait comme il veut, non ?
Il est pas content, Coco ?
Ce singe savait danser, voltiger, faire des sauts périlleux… bref tout un tas de « singeries » qui contribuaient à l’aider à gagner sa pitance ainsi que celle de son maitre. Mais l’animal voulait plus….
Un jour que l’homme était resté au cabaret (et on passera ici pudiquement sous silence le drame de l’alcoolisme chez les montreurs d’animaux à la fin du XVIIIème siècle, sujet oh combien social, mais injustement méprisé des historiens), le singe se sentant libre décida de convier les animaux de la ville à une séance de lanterne magique.
« on ferme les volets,
et, par un discours fait exprès,
Jacqueau prépare l'auditoire
Ce morceau vraiment oratoire
fit bâiller, mais on applaudit.
Content de son succès, notre singe saisit
un verre peint qu'il met dans sa lanterne. »
Il se met alors à déclamer en direction de l’auditoire :
« Messieurs, vous voyez le soleil,
ses rayons et toute sa gloire.
Voici présentement la lune ; et puis l'histoire
d'Adam, d'Eve et des animaux…
Voyez, messieurs, comme ils sont beaux !
Voyez la naissance du monde… »
Mais les animaux ne voient rien…. Car
« …Pendant tous ces discours, le Cicéron moderne
parlait éloquemment et ne se lassait point.
Il n'avait oublié qu'un point,
c'était d'éclairer sa lanterne »
A partir de cette fable, « oublier d’éclairer sa lanterne » a voulu tout d’abord dire « oublier un point essentiel nécessaire à la compréhension » puis a pris ensuite son sens actuel.
Convenons-en en guise de conclusion : Une lanterne (même magique) se doit de toute façon d’être éclairée. Sinon, comme on vient de le voir, on risque de passer à la fois pour le dindon de la farce et pour le blaireau de la fable, ce qui n’est pas chose aisée, même pour un singe.
*Jacques Pater « Le petit Pater illustré » Seuil, coll. « Point-Virgule », n° 19
**Hergé (Edition Casterman) :
« Tintin au Congo », page 3 , « L’oreille Cassée », page 7, « Les bijoux de la Castafiore », page 10
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