Enfer et damnation, tuberculose et syphilis !!! 2-La tuberculose
Paris janvier 2025
Après le tome 1 (la syphilis), voici le deuxième épisode de " Enfer et damnation, tuberculose et syphilis !!!"...
LA TUBERCULOSE : Albert Schatz
La tuberculose est une maladie transmissible qui se propage par l’inhalation de gouttelettes aéroportées contenant des bactéries nommées Mycobacterium Tuberculosis, ou bacilles de Koch, du nom du scientifique allemand qui les a pour la première fois mises en évidence en 1882.
La première étape de la maladie est appelée primo infection et conduit à une tuberculose dite « latente ». Elle est souvent asymptomatique …à peine une toux persistante, quelques douleurs thoraciques ou quelques ganglions, et les personnes infectées mènent une vie presque normale...
Le passage de l’infection tuberculeuse latente à la tuberculose maladie peut intervenir à n’importe quel moment, et ce sont surtout les personnes au système immunitaire fragile (enfants, personnes souffrant de mal nutrition) qui vont déclarer la maladie.
Celle-ci affecte le plus généralement les poumons mais elle peut aussi toucher d’autres organes : la colonne vertébrale (mal de Pott), les ganglions et le cerveau.
Quand elle touche les ganglions, ce sont les fameuses écrouelles, ces fistules purulentes localisées sur les ganglions lymphatiques du cou que les rois de France et d’Angleterre étaient censés pouvoir guérir par simple contact. Quand elle touche le cerveau, surtout chez les jeunes enfants, elle conduit à la forme méningée, mortelle rapidement dans la majorité des cas. Quand elle touche le poumon, elle condamne le jeune adulte du 19ème siècle à mourir « de consomption », c’est-à-dire d’épuisement et d’amaigrissement, allongé, le teint diaphane, sur des sofas recouverts de soie, en lisant des poèmes ou en écoutant des sonates, ce qui en fait la maladie romantique per excellence :
« Vers la fin du souper, Marguerite fut prise d’un accès de toux plus fort que tous ceux qu’elle avait eus depuis que j’étais là. Il me sembla que sa poitrine se déchirait intérieurement. La pauvre fille devint pourpre, ferma les yeux sous la douleur et porta à ses lèvres sa serviette qu’une goutte de sang rougit. Alors elle se leva et courut dans son cabinet de toilette. » (1)
Le développement actif de la maladie chez les personnes infectées dépend de nombreux facteurs génétiques et immunologiques, mais aussi nutritionnels et sociaux. D’où les nombreux morts parmi les populations pauvres vivant dans les taudis du 19ème siècle, dans des atmosphères polluées et dans des conditions sanitaires précaires.
Mais si elle frappe surtout les classes populaires, elle ne dédaigne pas non plus les salons royaux : Henri VII, le fondateur des Tudor, en meurt à 52 ans, et Charles IX à 24 ans …
Le petit Louis XVII (qui en meurt à 10 ans, dans la prison du Temple) sera le dernier d’une longue série de nombreux princes et princesses, rejetons de têtes couronnées Valois ou Bourbons, morts jeunes en bouleversant ainsi l’ordre des dynasties….
L’Aiglon (Napoléon II), lui, en mourra à 21 ans…
La famille Brontë, la célèbre famille littéraire britannique du 19ème siècle connaitra une véritable hécatombe.
Les six enfants du couple mourront tous de la tuberculose :
Maria à 11 ans et Elizabeth à 10 ans, en 1825,
Branwell à 31 ans et Emily à 30 ans, en 1848,
Anne à 29 ans, en 1849,
Charlotte à 38 ans, en 1855.
Parmi les morts célèbres, on compte Franz Kafka (41 ans), Alfred de Musset (47 ans), George Orwell (47 ans), Molière (51 ans), Baruch Spinoza (45 ans), Anton Tchekhov (44 ans), Henry David Thoreau (45 ans), Alexis de Tocqueville (54 ans), Friedrich Schiller (45 ans), Simone Weil (34 ans), Jane Austen (41 ans), Robert Louis Stevenson (44 ans), D.H. Lawrence (44 ans), Alfred Jarry (34 ans), Clotilde de Vaux (31 ans), Etienne de la Boétie (32 ans)
Mais aussi Amedeo Modigliani (35 ans), Frédéric Chopin (39 ans), Jean Baptiste Pergolèse (26 ans), ou Carl Maria von Weber (39 ans).
La faucheuse frappe, aveuglément. Les enfants, les vieillards, les riches, les pauvres…
Elle tue les demi-mondaines comme Marie Duplessis (la véritable « Dame aux Camélias » dont Alexandre Dumas fut l’amant, mourra à 23 ans) mais aussi Bernadette Soubirous (35 ans) ou Thérèse de Lisieux (24 ans).
Elle tuera aussi Karl Marx, mais à 64 ans…
Ici aussi, on peut s’interroger sur la part prise par la maladie dans l'œuvre de ces malades célèbres.
Si (par analogie avec la syphilis) on ne peut l’expliquer par une forme neuroméningée de la tuberculose qui affecterait le fonctionnement du cerveau (cette forme existe, mais reste rare), la maladie modifie en revanche profondément le rapport au monde de la personne touchée. Car c’est le corps qui pense, et “la maladie peut être créatrice” (2).
Comment expliquer l’omniprésence de la médecine et des médecins dans l’œuvre de Molière si ce n’est par cette tuberculose qui le ronge et que les médecins de l’époque seront incapables de soigner ? Pendant de nombreuses années, ils ne feront même qu’aggraver son état par des traitements hasardeux et cette pathologie finira d‘ailleurs par l’emporter...
Son œuvre commence avec “Le Médecin volant” avant 1659 et s’achèvera avec la dernière représentation du “Malade imaginaire”, juste avant sa mort en 1673...
Entre les deux, “l’Amour médecin”, “le Médecin malgré lui”, mais également “Monsieur de Pourceaugnac” ne seront que moqueries, sarcasmes et caricatures dirigés contre le corps médical.
Molière le dit lui-même :
“Votre plus haut savoir n'est que pure chimère,
Vains et peu sages médecins ;
Vous ne pouvez guérir, par vos grands mots latins,
La douleur qui me désespère”. (3)
Et c’est bien Molière face à son angoisse de la solitude et de la mort que l’on entend dans le désespoir d’Argan :
“Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables ! Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ? Drelin drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin, drelin !
Ah ! mon Dieu ! Ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin”. (4)
La maladie a également profondément marqué l’œuvre d’un autre malade célèbre, Albert Camus.
Albert Camus n’est pas mort de la tuberculose, un platane sur le bord de la RN5 en ayant décidé autrement en un début d’après-midi de janvier 1960.
Mais sa vie change lorsqu’on lui diagnostique une tuberculose à 17 ans.
S’ensuivront hospitalisations, radiographies, pneumothorax, consultations à répétitions, ... tous ces “memento mori” (Souviens-toi que tu te meurs...) qui rappelleront régulièrement à un homme encore jeune la brièveté potentielle de sa vie.
Pas facile de commencer sa vie avec cette conscience aigüe de la mort. Non pas en sachant que l’on va mourir (nous le savons tous) mais en en étant imprégné au plus profond...
Mais celà peut sans doute expliquer la philosophie de Camus, entre l’absurde et la révolte (5).
Il en déduit d’abord dans “Le mythe de Sisyphe” que “Ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on peut en dire. Mais ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme.” (6)
Il y décrit cet homme condamné, selon la mythologie, à faire rouler éternellement jusqu'en haut d'une colline un rocher qui en redescend chaque fois avant de parvenir au sommet.
Et cette maladie, n’est-ce pas ce rocher qu’il doit pousser sans cesse en pensant à tout prix chaque jour, pour survivre “Qu’il est plus fort que son rocher” et que surtout “Il faut imaginer Sisyphe heureux”.
Comme le Horla était le spirochète pour Maupassant, le rocher de Sisyphe serait le bacille de Koch pour Camus…
Jusqu’à la première moitié du XXème siècle, il y a peu d’espoir de guérison pour les malades et peu de moyens pour les soigner.
On croit aux vertus du soleil, qu’on appelle alors héliothérapie. (7)
On pense que c’est en s’éloignant des villes et de leur air pollué que la maladie sera vaincue. Alors, on construit des sanatoriums, à la mer ou à la montagne, ou l’on envoie les enfants « prendre le bon air » et le soleil en les gavant d’huile de foie de morue.
L’histoire se termine hélas le plus souvent dans le petit cimetière qui jouxte l’établissement, ou les tombes des religieuses soignantes semblent surveiller par-delà la mort encore les petites tombes blanches couvertes seulement d’une plaque avec un prénom et un âge.
Rémi, 3 ans, Jacques, 5 ans, Paul, 6 ans….
Je ne connais rien de plus triste que ces cimetières…
En 1943, un microbiologiste américain d'origine russe, Selman Abraham Waksman travaille à la Rutgers University dans le New Jersey. Il est spécialiste en bactériologie et annonce avoir trouvé, dans la trachée artère d’un poulet, une bactérie nommée Streptomyces griseus, qui produit un antibiotique qu’il nomme streptomycine.
Cette molécule (contrairement à la pénicilline, et pour la première fois), montre une activité contre l’agent de « la grande peste blanche », Mycobacterium tuberculosis, responsable de la tuberculose. Un an plus tard, cet antibiotique permet la première guérison d'un malade gravement atteint.
Waksman négocie rapidement un accord lucratif avec les laboratoires pharmaceutiques Merck, et commence à recevoir de confortables royalties.
Mais l’histoire se révèle fausse : c’est en fait un étudiant de Waksman, nommé Albert Schatz qui a le premier découvert cette bactérie dans un échantillon de sol provenant d’une ferme voisine de l’université, et qui a mis en évidence ses propriétés antibiotiques
Au départ, Waksman reconnait d’ailleurs la contribution de Schatz (8) mais au fur à mesure qu’il raconte l’histoire aux journalistes attirés par la nouvelle, il oublie peu à peu de mentionner le nom de son élève et s’arrange pour recevoir seul les centaines de milliers de dollars que commencent à rapporter sa découverte.
En 1950, Schatz porte plainte contre Waksman et l’université Rutgers. Il prouve, grâce à son cahier de laboratoire et à la fameuse « Expérience numéro 11 » que c’est bien lui qui a trouvé cette souche de Streptomyces griseus dans le sol, et non Waksman et son fameux poulet ; des dizaines d’années plus tard, Schatz en plaisantera même : « Je ne sais pas quelle est la durée de vie normale d’un poulet, mais ce poulet malade est vivant depuis un demi-siècle. » (9).
Après un an de combat judiciaire il parvient à un accord qui le reconnait comme « codécouvreur » et lui attribue la moitié des redevances provenant de la commercialisation du médicament.
Mais « l’establishment » scientifique ne pardonnera jamais à Schatz d’avoir contesté l’arrangement tacite entre son supérieur et l’université : deux ans plus tard, en 1952, c’est bien Waksman, et lui seul, à qui l’on décerne le Prix Nobel de physiologie ou médecine.
Waksman mourra en 1973, Schatz en 2005.
A la mort de Schatz, la revue internationale The Lancet écrira : « Le comité Nobel a commis une erreur considérable en ne reconnaissant pas la contribution de Schatz »
Trop tard, hélas.
Bibliographie
- Alexandre Dumas : La Dame aux Camélias,1848,
- Henri Ellenberger, « La notion de maladie créatrice », Dialogue, vol. 3, no. 1, 1964, p. 25-41.
- Molière - Le Malade imaginaire – Prologue
- Molière - Le Maladie imaginaire Acte I, Scène 1
- Cincivox - Les Carnets de Cincinnatus : L’absurde et la révolte selon Albert Camus
- Albert Camus : Le mythe de Sisyphe
- Léon-Emile Vidal, L'Action de l'héliothérapie dans le traitement des tuberculoses cutanées 1914 : Éditions de la "Gazette des eaux, 1914
- Schatz A, Bugie E, Waksman SA. Streptomycin, a substance exhibiting antibiotic activity against gram-positive and gram-negative bacteria. 1944. Clin Orthop Relat Res. 2005 Aug;(437):3-6.
- Experiment Eleven : Deceit and betrayal in the discovery of the cure for tuberculosis . The Guardian, Fri 29 Jun2012
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