Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Censeurs insensés

Paris, septembre 2018

 

 

 Je ne sais pas si vous vous en êtes rendu compte, mais il y a eu récemment comme un glissement dans la société française : et oui, comme disait l’ami Stephan Reggiani (le fils de l’autre) :

 

« T'as glissé, hein...
Eh oui! On ne sait pas pourquoi
On ne sait pas comment
Un beau soir, un beau soir on glisse »… (1)

 

Tout d’abord, j’espère que vous êtes pleinement conscients qu’il faut désormais que vous ayez un avis tranché sur tout : de la GPA aux éoliennes, de la politique commerciale extérieure des Etats-Unis à l‘utilisation des herbicides systémiques, vous vous DEVEZ d’exprimer une opinion. Que vous soyez compétent pour donner cet avis ou non n’y change rien, vous devez choisir un camp…

J’ai déjà exprimé par ailleurs (2) avec le brio et la verve qui me caractérise (3) (4) toute la valeur que j’attache au doute, suivant en cela la doctrine du philosophe grec Pyrrhon d’Elis (-320 avant J.C.). Vous me rétorquerez donc que cela n’est pas nouveau. L’histoire est pleine de choix cornéliens : Don Gomès ou Chimène, bien sûr, mais aussi les Horaces ou les Curiaces, les Capulet ou les Montaigu, jusqu’à Hitler ou le Front Populaire ou, plus récemment, le Moi ou le chaos macronien.


Non, ce qui est nouveau dans notre belle société n’est point l’impérieuse nécessité du choix ; c’est, à présent, la nécessaire condamnation totale et définitive de l’opposant, voire son élimination :

 

Il ne suffit plus par exemple de choisir d’être végétarien et de brouter sa salade aux graines tranquillement. Lancer un débat intelligent sur les conditions de vie et de mort des animaux d’élevage ? N’y pensez même pas ! Non ! En proclamant, comme Brigitte Gothière, fondatrice de l’association végane extrémiste  L214 que « on arrivera un jour à une interdiction de consommation de viande » (5), il faut attaquer violemment les boucheries, en traitant de meurtriers sanguinaires les adeptes du steak tartare et les bouchers qui vont avec.

Et, par la même occasion, tous ceux qui pensent benoîtement qu’il est également respectable de manger de la viande, ou de n’en manger point.

 

Il ne suffit plus également de choisir le vélo comme mode de déplacement, parce qu’il convient parfaitement à votre style de vie citadin et à votre état physique. Non ! Il faut derechef lutter de toutes ses forces contre tout déplacement de véhicule à moteur, considéré comme le mal absolu, en stigmatisant tous les pauvres hères qui n’ont probablement pas beaucoup d’autre choix pour aller exercer l’activité quotidienne dont ils font profession, ces gueux… Comme Madame le maire de Paris, en traitant les partisans d’un usage (même raisonné) de la voiture de « fachosphère, réacs, néo réacs » (6), votre but ultime doit être de pourrir, par tous les moyens possibles, la vie des automobilistes, jusqu’à leur éradication finale, prévue pour 2030 au plus tard dans notre belle capitale.

 

Un autre exemple ? Il ne suffit plus d’exprimer votre empathie et votre compréhension face aux réfugiés qui fuient la guerre ou la misère. Il vous faut dorénavant traiter de fascistes néo-nazis d’extrême-droite tous ceux qui disent que ce sont toujours les prolétaires de banlieues (qu’il nous faudra bien entendre un jour…) qui souffrent le plus d’une immigration mal gérée, soigneusement entretenue par des élites occidentales, travaillant main dans la main avec les élites des pays du tiers-monde pour s’enrichir au détriment des peuples qui meurent.

 

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J’ai un conseil à vous donner : Pensez donc, mais souffrez que d’autres pensent autrement. Ou ne pensent rien. Il n’y a là aucune raison de se fâcher : c’est la base (pourtant évidente) de la démocratie et il ne faudrait pas l’oublier en ces temps troublés.

Comme disait notre ami Georges, qui nous manque tant :

« Gloire à qui n'ayant pas d'idéal sacro-saint                                
Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins »

 

Parce que cette stigmatisation caricaturale de l’adversaire ne suffit plus. Il est maintenant obligatoire d’y ajouter l’appel à la censure et à l’interdiction : il faut faire taire l’opposant, de préférence en utilisant une justice qui n’en peut plus.

Vous êtes « racisé », comme ils disent ? Il convient de réduire au silence le blanc, forcément colonialiste : portez plainte pour incitation à la haine raciale. Si vous êtes féministe, faites taire les hommes, forcément machos et dominateurs : portez plainte pour injures à caractère sexiste. Si vous êtes homosexuel, portez plainte pour homophobie. Si vous êtes transgenre, pour transphobie. Si vous êtes musulmans ou juifs, pour islamophobie ou antisémitisme… Pour tous les autres, portez plainte pour injures publiques ou pour diffamation.

 

Le dernier exemple en date nous vient d’un « débat » télévisé (mais peut-on encore donner ce nom à ces pitoyables clashs organisés et scénarisés, destinés à sacrifier au dieu audience ?). Lors de ce débat, Éric Zemmour reprochait à une jeune femme franco-sénégalaise d’être franco-sénégalaise en portant un prénom sénégalais qui la rendait selon lui moins française. Vous me suivez ?

L’aspect capital du débat ne vous aura pas échappé, j’en suis convaincu, et je ne discuterai pas plus avant de l’intérêt bouleversifiant de cette discussion, qui se place certainement loin devant les préoccupations quotidiennes de chacun… Franchement pas de quoi appeler à l’interdiction d’antenne, et encore moins de quoi déranger un juge…

 

Bien évidemment, on devrait au contraire discuter avec Monsieur Zemmour. De la perte de repères d’une certaine France, des bénéfices et des risques de l’immigration, des vertus et des dangers de l’assimilation…. Lui dire, par exemple, que si sa France est toujours sa France, c’est en grande partie grâce à des Mamadous venus en 14/18 se faire trouer la peau dans des tranchées gelées… lui dire aussi que Amin Maalouf a bien été élu à l’Académie Française et qu’il a plus fait pour la défense de la langue française que Christophe Maé et Alizée réunis.

Dans le même esprit, on peut, on doit même, combattre Marine le Pen sur ses idées, et pas dans une parodie de procès, injuste sur le fond et ridicule sur la forme.

 

On peut, on doit écouter, argumenter, discuter et convaincre…

Mais non. Désormais, à tout propos non conforme à votre opinion, on répond par un appel à la censure, à l’exclusion, suivi de plainte devant la justice, ou à défaut auprès du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Museler l’adversaire, comme s’il était un chien dangereux, quelle preuve de faiblesse !

Aujourd’hui, notre grand Satan a pris les traits d’un Zemmour automobiliste et boucher…

 

Les idées se combattent par les idées. Pas par la stigmatisation, l’interdiction ou la censure. Ces trois-là, en augmentant la frustration et le ressentiment, font monter chaque jour un peu plus les extrêmes qu’ils prétendent combattre.

Eliminer l’opposant, faire taire le contradicteur, faire condamner l’autre, c’est avouer la faiblesse de sa rhétorique et l’impuissance de sa dialectique.

C’est avouer qu’on se sait incapable de convaincre et que d’ailleurs, on y renonce. C’est le refuge immature des faibles sous l’autorité d’un juge et la soumission à l’autorité.

 

Mais c’est aussi et surtout l’abandon de la pensée construite et de son expression.

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

  1. La déprime (Kernoa, Stéphan Reggiani) - 1974
  2. https://les-etoiles-dans-le-caniveau.blog4ever.com/au-benefice-du-doute
  3. Note pour l’imprimeur : j’ai bien dit verVe.
  4. Oui, merci, les chevilles, ça va !
  5. Brigitte Gothière, co-fondatrice de l’association L214 : http://nomdezeus.fr/societe/consommer-de-la-viande-finira-par-etre-interdit/
  6. http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2017/09/07/25001-20170907ARTFIG00114-fachos-reacs-et-gros-machos-anne-hidalgo-replique-a-ses-detracteurs.php


26/09/2018
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