Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Femmes de science, effet Matilda et photos volées : Rosalind Franklin et Marthe Gautier

 

Paris, août 2024

 

 

 

Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme” clamait le 26 août 1970 un groupe de militantes féministes lors d’une tentative de dépôt de gerbe à la femme du Soldat Inconnu au pied de l’Arc de Triomphe. Ce fut l’acte fondateur du MLF, le Mouvement pour la Libération des Femmes qui entendait dénoncer une société où le rôle et la liberté de la femme n’étaient pas reconnus. 

 

Dans cet épisode des “Sombres héros de la science”, nous allons parler aujourd’hui des plus sombres héros parmi les sombres héros, c’est à dire.... des héroïnes. 

 

Oubliées, moquées, caricaturées, spoliées, elles sont l’illustration de ce que l’on appelle “l’effet Matilda”, cette minimisation systématique de la contribution des femmes à la recherche scientifique, accompagnée bien souvent du vol de leurs idées et de leurs découvertes par leurs collègues masculins.  

Le scientifique mâle est laid, souvent... 

 

Cet effet Matilda dérive lui-même de l’effet Matthieu qui désigne, en sociologie, le mécanisme par lequel les scientifiques les plus reconnus ont tendance naturellement - et avec l’accord implicite de la société - à entretenir leur domination dans le monde de la recherche.  

Ce nom fait référence à une phrase de l’Evangile selon Saint Matthieu (13-12) : “Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a”. 

En version plus simple, “Il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade”, ou bien “On ne prête qu’aux riches”. 

 

A titre d’exemple, on se souvient tous de l’attitude récente de fascination de la société vis à vis d’un fameux scientifique aux méthodes et au nom de Tonton Flingueur (Mais il connait pas Raoult, ce mec...) durant le Covid.  

Ce célèbre savant de Marseille tentera pendant plusieurs mois de se faire mousser en proposant urbi et orbi et sous les vivats de la foule des solutions thérapeutiques pour le moins hasardeuses et peu étayées en se basant sur sa notoriété, illustrant ainsi de la plus belle manière cet effet Matthieu. 

 

En 1993 Margaret W. Rossiter, une historienne des sciences américaine, étudie la place des femmes dans l'histoire des sciences. Elle constate que l'effet Matthieu est encore plus important lorsqu’il s’agit de femmes scientifiques. Mais là, ce n’est plus la célébrité, mais le sexe qui détermine la domination : ce sont toujours les hommes qui confisquent la reconnaissance et les honneurs. 

Elle décide de nommer le phénomène de minimisation récurrente des réalisations des femmes effet Matilda en l'honneur de Matilda Joslyn Gage, une féministe abolitionniste, auteur d’un essai “Woman as inventor” publié en 1870 qui dénonçait déjà à cette époque une société où “La femme n’aurait aucun droit, titre ou pouvoir sur le travail de son propre cerveau”. 

 

Nous allons parler aujourd’hui de deux victimes de l’effet Matilda, deux sombres héroïnes de la science du XXème siècle : Rosalind Franklin et Marthe Gautier. Les deux vont jouer un rôle décisif dans l’avancée de la science au cours du XXème siècle, et les deux demeureront quasi inconnues du grand public jusqu’à leur mort en se faisant voler leurs découvertes par leurs collègues masculins lors d’histoires étonnamment semblables. 

 

1- Rosalind invisible

 

Rosalind Franklin nait en 1920 dans la haute bourgeoisie juive anglaise, dans la banlieue de Londres, à Notting Hill.  

Elle a très vite un coup de foudre (...) pour la chimie et, très douée et brillante, obtient son doctorat en physique-chimie à Cambridge en 1945 en étudiant la porosité des structures de charbon (carburant essentiel de l’après-guerre et matière première pour la fabrication des masques à gaz). 

Pour étudier en détail la structure du charbon, elle réalise assez vite qu’elle doit utiliser une méthode appelée “cristallographie aux rayons X”.  

 

Pour faire simple (pardon pour les cristallographes égarés ici), cette technique étudie comment les atomes qui composent la matière sont organisés. Pour ce faire, on forme d’abord un cristal de la matière à étudier, puis on le bombarde avec des rayons X. 

Selon la structure du cristal, les rayons X sont déviés (on dit diffractés) de manière différente et on obtient ainsi une image (un cliché de diffraction) en trois dimensions qui permet de savoir comment les atomes sont organisés entre eux et quelle est la forme de la molécule. 

 

Elle vient donc apprendre cette technique en 1947 en France (Cocorico !) en obtenant un poste de chercheuse au CNRS dans le Laboratoire Central des Services Chimiques de l'État, quai Henri IV à Paris.  

De retour au King’s College de Londres en 1950, son directeur de laboratoire John Randall lui demande de quitter son étude des charbons et d’utiliser son expertise dans le domaine de la cristallographie aux rayons X pour étudier plutôt une nouvelle molécule biologique d’intérêt, l’acide désoxyribonucléique, ou ADN. 

Peu de temps avant, en 1944, des chercheurs américains nommés Avery, MacLeod et McCarty ont effet démontré que l’ADN est le vecteur de l’information génétique dans les cellules, mais personne ne sait encore à quoi ressemble cette molécule. 

 

Deux binômes sont créés en parallèle au King’s College pour élucider la structure de l’ADN : Rosalind Franklin et Maurice Wilkins d’une part et James Watson et Francis Crick d’autre part. 

La collaboration avec Wilkins, chercheur misogyne qui considère dès le départ Rosalind comme sa technicienne tourne rapidement mal, et le directeur John Randall doit y mettre fin. Rosalind poursuit ses expériences de cristallographie avec un autre collègue, Raymond Gosling et accumule les clichés de diffraction de l’ADN.  

Le 51ème cliché est le bon : celui-ci donne la preuve formelle que la structure de l’ADN est bien une double hélice. 

 

Mais Maurice Wilkins, son ancien collègue, est resté en contact avec le binôme Watson et Crick. Il transmet, sans l’autorisation de Rosalind, une copie volée du cliché à Watson, qui le transmet à Crick, ce qui leur permet de valider définitivement l’hypothèse de la double hélice sur laquelle ils travaillaient déjà... 

 

Le 23 avril 1953, Watson et Crick se dépêche de publier dans le prestigieux journal Nature numéro 4356 un article intitulé : “Molecular structure of Nucleic acids : a structure for desoxyribose nucleic acid (Structure moléculaire des acides nucléiques : une structure pour l'acide désoxyribonucléique).  

Rosalind ne figure pas parmi les auteurs de l’article. 

A la fin de l’article, tout juste une brève mention dans les remerciements : “We have also been stimulated by a knowledge of the general nature of the unpublished experimental results and ideas of Dr. M.H.F. Wilkins and their co-wokers at King’s college London”.

Traduction ? “Nous avons également été stimulés par la connaissance de la nature générale des résultats expérimentaux non publiés et des idées du Dr M.H.F. Wilkins et leurs collègues du King's College de Londres”

 

Et voilà. Le cliché 51 démontrant irréfutablement la structure en double hélice ? Non, des “résultats expérimentaux”, une “idée non publiée” d’une vague "collègue” du Dr. Wilkins.  

 

9 ans plus tard, en 1962, Watson, Crick et Wilkins recevront le prix Nobel de médecine pour leur découverte de la structure de l’ADN et le travail de Rosalind sera ignoré. 

De toutes façons, elle est morte quatre ans auparavant, le 16 avril 1958 à l’âge de 37 ans d’un cancer des ovaires, probablement dû à la surexposition aux rayons X utilisés pour ses recherches et elle sombre rapidement dans l’oubli. 

Dix ans après sa mort, en 1968, James Watson publiera un livre intitulé “The double helix” (La double hélice) ou il raconte complaisamment “sa” découverte en donnant libre court à sa misogynie répugnante et décomplexée, ainsi qu’à son mépris de Rosalind Franklin. Je ne peux résister à l’envie de vous en citer un extrait : 

 

“Je suppose qu'au début Maurice (Wilkins) espérait que Rosy se calmerait, mais il était pourtant clair qu’elle ne se plierait pas si facilement.  

Elle avait choisi de ne pas mettre en valeur ses qualités féminines alors que bien que ses traits soient forts, elle n'était pourtant pas sans attrait et aurait même pu être assez jolie si seulement elle avait porté le moindre intérêt à ses vêtements.  

Mais non, jamais.... Jamais le moindre rouge à lèvres pour contraster avec ses cheveux noirs et raides, et à trente et un ans, ses robes étaient dignes d'une adolescente anglaise se prenant pour une intello... Il était évidemment tentant de l’imaginer comme la création d'une mère insatisfaite qui aurait exagéré l'importance d'une carrière professionnelle afin d’éviter à ses filles brillantes de se marier avec des hommes ennuyeux. Mais ce n’était pourtant pas le cas : sa vie dévouée et austère ne pouvait pas s'expliquer ainsi, car elle était la fille d'une famille de banquiers instruite et plutôt très aisée... 

  

De toute évidence, Rosy devait partir ou être remise à sa place. La première solution était évidemment préférable car, compte tenu de son humeur belliqueuse, il devenait très difficile pour Maurice de conserver sa position dominante qui lui permettait de réfléchir tranquillement à l'ADN.... Malheureusement, Maurice ne voyait aucun moyen décent de virer Rosy. Tout d’abord, parce qu’on lui avait fait croire qu'elle occuperait ce poste pendant plusieurs années. Ensuite parce qu’on ne pouvait pas nier qu’elle était dotée d’un bon cerveau. Si seulement elle avait pu garder ses émotions sous contrôle, il y aurait eu de fortes chances qu’elle puisse vraiment l’aider”. 

 

Je rappelle que la “Rosy” dont parle ici Watson est Rosalind Elsie Franklin, docteur ès sciences en physique-chimie de l’université de Cambridge depuis 1945 et scientifique reconnue.... 

 

La revue Nature, sans doute pour se faire pardonner, publiera en 2003 un article pour réhabiliter sa mémoire, intitulé “The double helix and the wronged heroine “ (La double hélice et l’héroïne lésée).

 

Et c’est vrai qu’elle s’est bien fait léser, Rosalind.... 

 

2- Marthe révoltée 

 

L’histoire de Marthe Gautier présente des similitudes étonnantes avec celle de Rosalind Franklin.

 

Marthe Gautier est née elle le 10 septembre 1925, cinquième de sept enfants, dans une famille d'agriculteurs de Seine et Marne. Attirée par la médecine, elle arrive à Paris en 1942, en pleine guerre et réussit brillamment l’Internat de Paris, pourtant à l’époque peu féminisé : dans sa promotion sur les 80 internes nommés, il n’y a que deux femmes. 

En 1955, le grand patron de la pédiatrie en France, le professeur Robert Debré, lui propose une bourse d’un an dans la prestigieuse université de Harvard à Cambridge, dans la banlieue est de Boston aux Etats-Unis. 

Elle vient aux Etats-Unis au départ pour travailler sur les cardiopathies congénitales du nouveau-né et du nourrisson. Mais on lui donne un autre job, en parallèle et à temps partiel : technicienne dans un laboratoire de culture cellulaire et c’est cela qui va bouleverser sa vie. 

 

Elle va y développer sa connaissance de cette technique encore peu connue et très récente (les premières véritables cultures de cellules datent de 1951). 

Après cette année passée à Boston, son visa expire. Elle rentre à Paris, pleine d’enthousiasme et de projet. Mais elle doit vite déchanter : le poste de chef de clinique qu’on lui avait promis avant son départ a été attribué à un collègue homme. Il lui faut gagner sa vie : un poste est disponible à l’hôpital Trousseau, dans le service du Professeur Turpin. Ce médecin s’intéresse aux anomalies et malformations congénitales et évoque des 1934 l’hypothèse d’une anomalie chromosomique dans ce que l’on appelle alors le mongolisme... 

 

En 1956, le Professeur Turpin revient du premier Congrès International de Génétique Humaine qui s’est tenu à Copenhague et qui a réuni 300 représentants de 27 pays. 

Deux scientifiques, Joe Hin Tjio et Albert Levan, y ont présenté une communication qui démontre pour la première fois que : “Il est de plus en plus probable que l’espèce humaine se caractérise par 46 chromosomes et non 48 comme on l’admettait classiquement”. 

En rentrant de ce congrès, Turpin regrette devant tous ses collègues qu’il n’y ait pas à Paris de lieu, ni de personnes compétentes pour faire des cultures cellulaires afin de pouvoir compter le nombre de chromosomes des mongoliens. 

Marthe Gautier se propose d’en faire son affaire... 

 

Parce que ce n’est pas facile de compter le nombre de chromosomes dans une cellule : ils ne sont visibles que lorsqu’une cellule se divise pour donner deux cellules filles, et cette étape est très brève (environ 1 heure). Impossible donc d’espérer avoir la chance de tomber juste au bon moment sur une cellule en train de se diviser dans un échantillon de tissu. 

En revanche, si on parvient à cultiver des cellules dans un milieu adéquat qui favorise la division de ces cellules, les chances d’observer les chromosomes augmentent. 

Mais cultiver des cellules n’est pas chose aisée non plus. Pour faire simple (et pardon cette fois aux biologistes cellulaires égarés ici), les méthodes de culture cellulaire en 1957 ressemblent un peu à un mélange de Top Chef et de recettes un peu bizarres de chez Marmiton. 

 

Il faut par exemple du plasma de coq pour immobiliser les fragments de tissu sur les lamelles de verre, puis du sérum de veau fœtal, qui contient à la fois des nutriments et des facteurs de croissance, pour fabriquer un milieu de culture favorable au développement des cellules, et aucun de ces produits n’est commercialisé en France. 

Alors Marthe Gautier ramène tout d’abord de sa campagne natale, dans le coffre de sa 4CV et accompagné d’un sac de blé, un jeune coq qu'elle confie à une infirmière qui l’installe dans le jardin de l’hôpital Trousseau. Quand elle a besoin de plasma elle ponctionne le coq ! 

En revanche, en ce qui concerne le sérum de veau fœtal, difficile de trouver des veaux à Paris.  

Enfin, les animaux parce que sinon... Mais je m’égare. 

Pour la partie sérum, Marthe Gautier le prélèvera régulièrement sur elle-même. 

Et pour la partie facteurs de croissance embryonnaires, Marthe se rabat sur des œufs couvés de 11 jours qu’elle broie.  En mélangeant les deux elle obtient un milieu de culture cellulaire qui fonctionne ! 

 

Marthe Gautier va donc créer le premier laboratoire de culture cellulaire in vitro, quasiment sans moyens financiers. On lui confie un labo de trois pièces, pratiquement vide, avec un frigo, une centrifugeuse et une armoire contenant un vieux microscope à faible définition. Elle emprunte, à ses frais, pour acheter verrerie et matériel de base. Elle commence à travailler sur des échantillons de tissus provenant d’interventions chirurgicales au service voisin de l’hôpital Trousseau. Elle vérifie la théorie de Tijo et Levan : il y a bien 46 chromosomes dans les cellules humaines. Puis elle obtient des tissus d’enfants mongoliens et recommence l’expérience : sur les lamelles de verre, les cellules présentent toutes 47 chromosomes !!  

 

Mais le chromosome supplémentaire est petit, et le vieux microscope trouvé dans l’armoire du laboratoire ne permet pas de réaliser une photo qui permet d’en attester la présence. Depuis quelques temps, Jérôme Lejeune, un jeune élève du patron, chargé de recherches au CNRS, s'intéresse aux travaux de Marthe Gautier. Il lui propose de faire photographier les lamelles de verre dans un labo qu’il connait, équipé d’un photomicroscope, et Marthe accepte bien volontiers... 

 

Nous sommes en mai 1958. Rien ne se passe pendant plusieurs mois. Lorsque Marthe s’inquiète, on lui répond que les photos sont “chez le patron”.  

Puis elle apprend qu’en août 58, Jérôme Lejeune a fait état oralement de la “découverte française” d’un chromosome surnuméraire lors d’un séminaire de génétique à Montréal.  

En janvier 1959, Jérôme Lejeune publie un article dans les “Comptes rendus de l’Académie des Sciences” intitulé “Les chromosomes humains en culture de tissus”. Marthe n’a toujours pas vu les photos de ses travaux, et n’a été informée que la veille de sa publication. C’est à nouveau, comme pour Rosalind Franklin, avec une photo volée que la chercheuse sera dépossédée de sa découverte.  

 

Mais là, Marthe Gautier sera au moins cosignataire de l’article. Enfin, presque ! 

Contrairement à l’usage qui veut que le chercheur qui imagine et réalise les manipulations soit le premier signataire c’est Jérôme Lejeune qui est premier auteur, Marthe Gauthier n’arrivant qu’en second.  Pire, comme pour souligner le peu d’intérêt que lui porte son collègue masculin, elle apparait dans la publication sous le nom de “Marie Gauthier”, avec une double erreur sur son prénom et sur l’orthographe de son nom !! 

 

Jérôme Lejeune se présentera ensuite sur la scène scientifique internationale comme le seul découvreur de ce que l’on appellera dès 1960 la trisomie 21 et raflera seul tous les honneurs.  

En 1962, il est reçu à la Maison Blanche par John Fitzgerald Kennedy, qui lui remet un chèque pour son laboratoire et un chèque personnel de 200 000 nouveaux francs. 

Le 3 juillet 1963, il est nommé maître de recherche au CNRS. Agé de 38 ans, il est alors le plus jeune professeur de la faculté sans en avoir suivi le cursus universitaire, cette nomination étant exceptionnellement autorisée “dans le cas d'une personne ayant fait une grande découverte”.  

A la fin des années 60, le diagnostic prénatal de la trisomie 21 devient possible et en 1975, la loi Veil est votée rendant possible l’avortement thérapeutique des fœtus trisomiques. Pour J. Lejeune, catholique traditionnaliste convaincu, proche du pape, c’est inacceptable. Dès 1971, il milite contre l’avortement et rejoint le mouvement “Laissez-les vivre” dont il devient conseiller scientifique. En 1994, il devient le premier Président de l’Académie pontificale pour la Vie créée par le Pape Jean-Paul II. En 1996, avec l’aide de riches donateurs et d’hommes politiques, il crée la Fondation Lejeune, qui va continuer à lutter contre l'avortement et à défendre coûte que coûte la fable d’un Jérôme Lejeune seul découvreur de la trisomie 21. 

 

En 2014, Marthe Gautier a 88 ans. La Société Française de Génétique décide de lui remettre “Le Grand Prix de la Génétique” à l’issue d’une allocution de sa part aux assises de la Génétique qui se tiennent à Bordeaux. Mais ce matin du 31 janvier 2014, lorsqu’elle se présente pour entrer dans la salle de conférence, elle est accueillie par deux huissiers de la Fondation Lejeune qui veulent l’empêcher de parler et contrôler le contenu de sa présentation. L’organisateur des assises, par crainte d’un procès ruineux que la Fondation Lejeune peut se permettre, mais pas lui, cède à la menace et interdit à Marthe Gautier de s’exprimer dans l’amphithéâtre. La médaille du Grand Prix de la Génétique lui sera remise en catimini quelques jours plus tard, lorsqu’elle sera de retour chez elle à Paris. 

 

En juillet 2014, le comité d'éthique de l'INSERM, reconnaitra enfin le rôle décisif de Marthe Gautier. L'avis précise que : 

« Vu le contexte à l’époque de la découverte du chromosome surnuméraire, la part de Jérôme Lejeune dans celle-ci a peu de chance d’avoir été prépondérante, sauf à ne pas porter crédit à la formation des personnes, (ici Marthe Gautier), dans l’acquisition d’une expertise (ici la culture cellulaire), a fortiori quand associée à un séjour hors de France (ici aux USA). » 

« Mais la part de Jérôme Lejeune est sans doute très significative dans la mise en valeur de la découverte au plan international, ce qui est différent de la découverte elle-même. Cette valorisation ne peut exister sans la première étape et lui demeure indissociablement subordonnée. » 

« La découverte de la trisomie n’ayant pu être faite sans les contributions essentielles de Raymond Turpin et Marthe Gautier il est regrettable que leurs noms n’aient pas été systématiquement associés à cette découverte tant dans la communication que dans l’attribution de divers honneurs. » 

 

Marthe Gautier décédera huit ans après, le 30 avril 2022. 

Révoltée par ces injustices, elle regrettera toute sa vie d’avoir été la “découvreuse oubliée”, et dira “ne garder aucun souvenir agréable de cette période, tant je me suis sentie flouée à tous égards”. 

 

Lésées, oubliées, flouées... Malgré cela, Rosalind et Marthe auront marqué définitivement l’histoire de la science de ce milieu du 20ème siècle.  

Deux destins si semblables à quelques années d’intervalle, deux histoires similaires de photos volées et de collègues masculins misogynes et méprisants à l’ego hypertrophié. 

 

 

Deux effets Matilda dont ces hommes ne sortent pas grandis... 

 

 

Bibliographie 

 

  • Gage, Matilda Joslyn (1883). "Woman as an Inventor". North American Review. 136 (318) : 488. 
  • Brenda Maddox : The double helix and the “wronged heroine”  Nature Vol 421, 23 January 2023, 407-408 
  • Marthe Gautier : Cinquantenaire de la trisomie 21 : Retour sur une découverte  Medecine/Sciences 2009 ; 25 :311-315 
  • Simone Gilgenkrantz  : La cytogénétique, histoire de quelques pionniers dans une discipline en pleine mutation - Une découverte française : la trisomie 21 -Marthe Gautier - site des bibliothèques d'Université Paris Cité. 

 

 



04/08/2024
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