Eloge de la bombe
Paris, mars 2025
Dans la presse ou sur les ondes, quelques esprits chagrins tentent ces derniers temps de nous transmettre leurs angoisses sous le fallacieux prétexte que la fin du monde n’aurait jamais été aussi proche : désormais à la merci du glaive vengeur d’un psychopathe de la Baltique, ou du bras séculier d’un dément new-yorkais, un échange de missiles intercontinentaux pourrait bien y mettre fin rapidement en nous amenant tous bientôt vers l’apocalypse nucléaire.
L’hypothèse que ce monde se termine dans un avenir relativement proche et dans un grand éclair blanc devient soudainement plausible .
La fission n’est plus une fiction, et il n’y a plus personne que les mégatonnes étonnent . Mais pour qui sont ces sieverts qui sifflent sur vos têtes ?
Mais en y réfléchissant bien, et au risque de paraitre un brin provocateur, n’est-ce pas au fond une hypothèse bien douce ?
Pensez- y !
Et ne m’objectez pas que vous auriez préféré profiter encore de quelques aubes laiteuses au bord du fleuve, ou des derniers chants du rossignol dans la moiteur des soirs d’été.
Il y a bien longtemps de toutes façons que vous ne voyez plus le jour se lever, le nez dans votre smartphone, et les écouteurs vrillés dans vos oreilles couvrent le chant des oiseaux.
Ce monde que vous prétendez regretter, il y a combien de temps déjà que vous ne le regardez plus, tandis que votre esprit s’égare à calculer les résultats du trimestre, à négocier une promotion ou bien à repenser les volumes de la cuisine?
Ne me dites pas non plus que vous êtes encore jeune. Justement, pourquoi attendre l’âge et son cortège de déplaisirs, de cholestérol et rhumatismes en démence sénile et incontinence ? Vous êtes beau, vous êtes jeune.. cela ne durera pas. C’est prévu : le pire est à venir, c’est une absolue certitude. Votre décrépitude est annoncée.
Il vous reste encore des choses à vivre ? Certes, mais si c’était le pire, ce qui reste ?
La déception, la désillusion, l’épuisement, les renoncements, la lassitude dans les yeux de l’autre…
Vos enfants ? Quoi, vos enfants ? Vous tenez tant que ça à les voir grandir, se transformer en ados idiots et ricanants remettant en cause à peu près tout ce que vous avez longuement et patiemment tenté de leur inculquer, pour finir, adultes, par choisir un conjoint improbable et un métier qui ne l’est pas moins, et en tout cas à des années-lumière de ce que vous aviez rêvé et construit pour eux ?
De toutes façons, dès qu’ils pourront ouvrir seul un compte en banque et une bouteille de bière, ils partiront loin de vous en vous expliquant par le menu comment vous avez raté leur éducation et combien vous êtes responsable de ce monde insupportable que vous leur laissez, dans lequel des pannes de Wifi empêche tout le temps d’écouter tranquillement le dernier Aya Nakamura et que « c’est trop nul d’abord ! ».
Et puis mourir en même temps que tous ceux qui vous entourent, n’est- ce pas, quand on y songe le gage d’une félicité suprême ?
Je ne parle pas uniquement bien sûr de la mort de vos ennemis, qui peut suffire à elle seule au bonheur terrestre : Savoir que tel politicien honni (oui, celui-là…), ou que votre voisine du dessus qui danse le charleston en talons aiguilles à 3:00 du matin , ou que tous les rappeurs et les footballeurs vont disparaitre ensemble dans une grande déflagration peut suffire à la jubilation de l’honnête homme.
L’accomplissement du fameux programme impossible : « Mort aux cons », la mort des cons, de tous les cons, c’est un rêve ! Et convenons-en , ce rêve est inatteignable en dehors d’un cataclysme majeur.
Oui, la mort de l’ennemi est douce, mais je veux parler aussi de celle de vos proches, de vos amis. Savoir que personne ne survivra à personne, que personne ne suivra les yeux rougis un cercueil sous la pluie, que personne ne vivra cette absence définitive et inconcevable de l’être aimé, que personne ne serrera dans ses mains tremblantes le panier vide du chat ou du chien disparu, n’est-ce pas finalement de nature à nous rendre notre sérénité ?
Allons !
Boum ! Une énorme explosion, et nous voilà tous atomisés dans le vide intersidéral. Retournés à la poussière d’étoiles dont nous venons tous.
« Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris » ( Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière). C’était écrit dans la Genèse (3,19).
Faisons donc plutôt le voyage tous ensemble :
Ainsi, plus personne ne sera triste, puisque plus personne ne sera plus.
C’est sans doute l’idée la plus réconfortante que l’on puisse avoir.
C’est la grâce que je vous souhaite.
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