Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Ach! Bieber, gloss malheur !!

Paris, octobre 2022

 

Heureusement que je suis là !

 

Combien parmi vous, sinon, passeraient à côté d’informations essentielles à la compréhension de notre monde moderne ?

Mais comment vous en vouloir ? Et surtout à toi, oui toi, qui gâches ta vie entre un conjoint acariâtre, des enfants insupportables et tes journées passées à développer les ventes en Europe de l’indispensable presse-purée atomique à double hélice hélicoïdale inversée, sans lequel, disons-le, le sens de la vie serait bien obscur?

Je veux pourtant vous aider à survivre sur cette terre hostile que menacent conjointement la fin du monde dans un grand éclair blanc venu de Russie et la disparition de l’alouette des champs (Lauda arvensis) mise en danger par les ministres idiots qui ont rétabli récemment l’autorisation de sa chasse au filet dans quatre départements du Sud-Ouest.

Heureusement, rassurez-vous, je suis là pour vous livrer cette information parue dans Libération du 6 octobre 2022 :

 

« Hailey Rhode Bieber, après avoir affiché sur TikTok un maquillage fait d’un coup de crayon noir ou marron sur le contour des lèvres rendues brillantes par une touche de gloss transparent a immédiatement provoqué l’ire de femmes noires et latino-américaines qui y ont vu un énième geste d’appropriation culturelle . »

 

Diable ! Je sens que vous vacillez sous cette avalanche d’informations que vous peinez à traiter. Laissez-moi procéder céans à une petite analyse sémantique du propos :

 

Tout d’abord, qui est Hailey Rhode Bieber ?

Et bien, j’vais vous le dire… (cette imitation de Nicolas Sarkozy m’a valu le premier prix au festival des imitateurs de mon village natal). Hailey Rhode Bieber, c’est la femme de Justin Bieber.

Mais qui est Justin Bieber, me retorquerez-vous ? Et bien j’vais.. Non ? bon, d’accord.

Justin Bieber est un célèbre perturbateur endocrinien, au sourire Colgate et à la frange de bobtail (à ses débuts), déclencheur hormonal grâce à ses beuglements insipides et autotunés d’émois humides chez les jouvencelles du Nouveau-Monde, de la Saskatchewan à la Louisiane dans les années 2010.

Il a depuis changé de look, optant désormais pour l’air intelligent que donne le port d’une casquette à l’envers et en étant plus tatoué que le rideau métallique d’une boutique du onzième arrondissement de Paris. Malheureusement, il chante toujours.

 

Hailey (donc, sa femme.. Suivez, un peu !!) est elle -même un célèbre porte-manteau (pardon, on dit mannequin) pour diverses marques de vêtements ou de cosmétiques branchées s’attaquant directement à la carte bleue des papas des susdites jouvencelles. Autant vous dire l’importance du personnage dans l’élaboration de la pensée américaine contemporaine.

 

Ouvrons ici une parenthèse, en rendant hommage à l’auteur/teure/trice/teuse/teresse (je ne sais plus) de l’article (que son nom, Katia Dansoko Touré soit sanctifié) pour l’utilisation joliment désuète du très suranné « provoquer l’ire ». Saluons en effet l’absence de la prose torturée habituelle des plumitifs à la mode qui, eux, nous auraient infligé sans aucun doute un article sur « cette non-racisée à l’attitude impactante qui ne fait pas sens et qui du coup devrait avoir vocation à nous dévaster ». Ici, que nenni. Une ire de bon aloi. Du latin ira, irae, colère, courroux. Dies irae, dies illa (Jour de colère que ce jour-là !), comme disent conjointement Wolfgang et Giuseppe dans leurs Requiem respectifs.

On ne peut que se réjouir d’ouïr ici l’ire !

 

Redevenons un peu plus sérieux et parlons de cette condamnable « appropriation culturelle ». Les dictionnaires nous informent qu’il s’agit de « l’utilisation d’éléments matériels ou immatériels d’une culture par des membres d’une autre culture ». Bigre, le concept est abscons ! Et les gens qui l’utilisent ne le sont pas moins.

Prenons un exemple pour l’illustrer. Au hasard… moi.

De culture bretonne depuis des générations, cette notion m’interdit d’éprouver quelque émoi à l’écoute de Vivaldi, de cuisiner une paella ou un couscous, ou d’être ravi à la vue d’un tableau de Chagall.

Ma trilogie culturelle, c’est Tri Yann, la galette de blé noir à l’andouille de Guémené et le fest-noz. C’est tout. A la rigueur, l’érection d’un menhir ou deux, le dimanche après la messe, si je m’ennuie, mais pas au-delà. Tout le reste est suspect.

En contrepartie je suis bien sûr autorisé à hurler si, n’ayant pas la moindre coiffe parmi vos ancêtres, vous faites des crêpes à la Chandeleur ou tentez la réalisation d’un far Breton.

 

Sous peine d’appropriation culturelle, il m’est interdit à jamais de songer à jouer du reggae ou à porter un boubou africain ou un kilt (je m’excite moi-même !!), sous peine d’être dénoncé à la police de la Kulture Inappropriée et remis dans le droit chemin, celui qui traverse la lande, bordé de bruyère et d’ajonc, et au son du biniou, s’il vous plait..

Inutile de tenter de leur faire comprendre qu’une culture n’est qu’une succession d’appropriations culturelles, de Picasso à Bizet, que la musique n’a pas de frontières, que la cuisine d’un pays s’enrichit au contact de celles d’autres peuples…

Dans ce triste monde, on ne touche pas à la culture de l’autre !

 

Ici , « un coup de crayon noir ou marron sur le contour des lèvres rendues brillantes par une touche de gloss transparent » serait une appropriation culturelle. Il me semblait pourtant que les fabricants de gloss ou de lip-liner (l’autre nom du crayon contour des lèvres… oui j’ai bossé pour ce billet), qu’ils s’appellent Gemey ou L’Oréal, n’était pas précisément ni des coopératives africaines, ni des start-ups porto-ricaines. Et que donc, s’il y avait appropriation… mais bon.

 

Terminons l’analyse de cet article passionnant en nous penchant de plus près sur cette « ire de femmes noires et latino-américaines »

Cette indignation communautaire me laisse songeur. Car quoi ? Soit une chose est révoltante, et elle indignera tout être humain normalement constitué, femme ou homme, blanc ou noir, soit.. elle ne l’est pas. Vous admettrez avec moi que la traite esclavagiste ou la Shoah, par exemple, ne « provoque pas l’ire » uniquement des noirs ou des juifs. Que penser alors de quelque chose qui n’émouvrait (Si si, j’ai vérifié, c’est bon !) que les femmes, voire même qui serait exclusivement réservé aux femmes noires ou latinos ? Une colère, mais colorée, en quelque sorte?

Je crains qu’il ne s’agisse ici, une fois de plus, que de ce fameux essentialisme woke qui commande à chaque groupe désigné de réagir non avec ses neurones, mais avec sa mélanine ou ses chromosomes. Celui qui interdit à un blanc de penser le racisme, ou à un homme de parler féminisme. Celui qui proclame par la bouche des nouvelles féministes au cerveau embrumé : « Pas d’utérus, pas d’avis !!».

 

Je tiens pour certain, pour ma part que la grande majorité des femmes américaines n’en a (pardonnez-moi l’expression) absolument et totalement rien à carrer.

Et encore moins, parmi elles, les femmes noires ou latino-américaines. Tout d’abord parce que nombre de ces femmes n’ont pas les moyens de se payer ne serait-ce qu’un rouge à lèvres. Ensuite parce ce que Animata (femme de ménage occupée à échapper aux mains baladeuses des clients de l’hôtel) ou Dolores (caissière envoyant tout son argent à sa famille restée dans un pays mangé par la corruption et la violence), en un mot toutes ces femmes mènent chaque jour bien d’autres combats et ont bien d’autres problèmes.

 

….Et, hélas, bien d’autres tristes ires !

 

 



21/10/2022
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