Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Le garde-barrière

Paris, février 2021

 

 

 

Le poète yiddish Avrom Sutzkever disait : « Qui garde son âme d’enfant ne vieillit jamais ». Je dois donc être resté très jeune, puisque la pandémie que nous traversons est pour moi une source inépuisable d’étonnement, privilège comme chacun le sait d’une certaine fraicheur enfantine…

 

Comment expliquer en effet que ce vilain virus court toujours, alors que tout le monde sait par le détail ce qu’il faudrait faire pour s’en protéger ? Que des conseillers en coaching mental et hygiène de vie sont incollables sur les vertus comparées du vaccin à base d’adénovirus de singe modifié et de celui à ARN messager encapsulé en vésicules lipidiques ? Que des journalistes, des guides touristiques et mon boucher savent très exactement la conduite à tenir pour le confinement, suite à leur analyse détaillée de l’impact des mrNPI (more restrictive non pharmaceutical interventions, ou Interventions non pharmaceutiques plus restrictives) sur la réduction du taux de reproduction R0 en milieu urbain?

 

A la réflexion, il me vient à l’idée que, si les situations complexes semblent à l’évidence assez bien maitrisées par tous, les bases, elles, ont été mal acquises.

Je vais donc me permettre de revenir en détail sur deux d’entre elles : le port du masque et le respect des distances de sécurité sanitaire...

 

Ces deux mesures font partie de ce qu’il est convenu désormais d’appeler les gestes barrières, ainsi dénommés en hommage au célèbre chanteur des années 60 Alain Barrière (1935-2019).

Ce Breton d’origine (bah si quand même… né à La Trinité et mort à Carnac, on ne peut pas faire plus Breton) avait déjà tout compris. Dès 1964, il nous alertait, dans sa chanson « Ma vie », sur les difficultés de l’application de ces mesures sanitaires. Je cite : « Il est long le chemiiiiiiiiiiiiiiiiiiin ». Fin de citation.

Avertissement qui sera reprise plus tard par un ex-rockeur poitevin devenu premier ministre dans la Raffarinade célèbre : « La route est droite, mais la pente est forte ».

Mais je m’égare, et pas seulement Montparnasse, ceci dit pour rester dans l’hommage à ces deux personnalités incontournables de l’Ouest français.

Attaquons-nous tout de suite à ces deux mesures :

 

1 - Porter un masque.

Je suis pleinement conscient de la complexité de cette proposition, aussi je vais, si vous y consentez, la reprendre en détail : « Porter un masque » est constitué de deux parties : un verbe transitif du premier groupe, « porter » suivi d’un complément d’objet direct « un masque » ;

 

1-a ) PORTER :

 

Corrigeons tout de suite une imprécision coupable : on devrait dire « porter sur le visage ». En effet, des études scientifiques fiables, bien que non publiées à ce jour, montrent une efficacité voisine de zéro du masque porté par le tableau de bord ou le rétroviseur de votre voiture, le guidon de votre vélo, votre coude, votre poignet ou la poche intérieure de votre manteau.

 

Au risque de paraitre excessivement tatillon, la notion de visage doit même être encore précisée davantage : il s’agit en effet de protéger l’accès à vos voies respiratoires : le port sur le sommet du crâne ou autour du cou est sans effet. Mieux : le masque doit couvrir votre bouche ET votre nez. Il est inutile d’en protéger l’un sans protéger l’autre : sans aller trop loin dans un cours d’anatomie complexe, que je devine lassant, les deux communiquent. Si si. Je vous assure. Je vous propose même pour le démontrer un exercice rigolo à réaliser chez vous: fermez la bouche et inspirez bien fort par le nez. Puis, pincez-vous le nez et soufflez par la bouche. Incroyable, l’air ressort ; et mine de rien, nous venons de démontrer l’unité des voies respiratoires supérieures chez l’homme.

Mettre un masque sur votre bouche, et pas sur votre nez, c’est un peu comme se baigner avec un parapluie pour éviter d’être mouillé, voyez-vous…Ou enfiler un préservatif sur votre doigt, comme le fait sa Sainteté le pape. Oui, vous savez, celui qui mettait le préservatif à l’index.

Bref, ça ne sert à rien.

 

1-b) UN MASQUE :

 

Par masque, on entend un dispositif médical susceptible de constituer une barrière efficace au passage du virus. Il peut être chirurgical, FFP2… mais dans tous les cas, les masques fabriqués par Mémé Germaine en dentelle de Calais (ou d’Alençon) ou cousus dans les vieilles chemises de Pépé Louis sur la table de la cuisine ne conviennent pas. De même, le masque réalisé en coton bio équitable éco responsable par des réfugiés tamouls au sein d’un espace-atelier communautaire et participatif du XIème arrondissement ne fait pas partie des équipements de protection individuelle à retenir.

Un bandana, votre écharpe en cachemire et un mouchoir en papier non plus.

 

Deux précisions utiles:

- Si, un masque est efficace contre la propagation d’un virus aéroporté : Et ce n’est pas parce qu’une ministre à bout d’argument et désireuse de masquer la pénurie criminelle de masques dans les stocks de son ministère a un jour dit le contraire qu’il faut la croire. Le masque est utile. Tout le monde le sait depuis les travaux de Louis Pasteur à la fin du 19eme siècle et l’invention subséquente du masque chirurgical par le chirurgien polonais Jan Mikulicz-Radecki.

Le plus étonnant n’est sans doute pas qu’une ministre ait pu proférer une telle niaiserie mais que des gens aient pu la croire…

 - Et non, il n’y a aucun risque d’étouffement en respirant votre gaz carbonique. Deux preuves à cela : il est excessivement rare que les chirurgiens meurent dans d’atroces souffrances à l’issue d’opérations pendant lesquelles ils portent un masque pendant de longues heures. Et puis, si l’oxygène traverse votre masque dans un sens et vous permet de respirer, il y a de grandes chances que le dioxyde de carbone que vous rejetez passe également dans l’autre sens. Ben oui. Les molécules ont grosso modo la même taille.

 

2 - Le respect des distances sanitaires

Là aussi, la proposition est complexe ; il s‘agit de laisser en permanence une distance d’environ un mètre ou deux entre vous et les individus de votre espèce.

 

Laissez-moi tout d’abord vous rassurer : Contrairement à ce que beaucoup semblent penser, dans une file d’attente, vous demeurerez environ dans le même espace-temps que votre voisin, et vous arriverez donc à la caisse à peu près au même moment que si vous étiez resté collé à lui. Si, je vous assure. La différence de temps est minime.

 

Mais qu’est-ce qu’un mètre, me direz-vous ? ? C’est une excellente question, que je vous remercie d’avoir posée. Sa définition est complexe, et a évolué au cours du temps.

D’abord défini comme la 1/10 000 000 partie de la distance du pôle Nord à l'équateur, les scientifiques se sont vite rendu compte de la complexité de cette description et ont décidé de faire plus simple.

Désormais, le mètre est défini comme étant la longueur du trajet parcouru par la lumière dans le vide pendant une durée d'un 299 792 458ème de seconde. La seconde, et pardon de rappeler ici cette évidence, étant elle-même définie en fonction de ΔνCs , qui est la fréquence de la transition hyperfine de l’état fondamental de l’atome de césium 133 non perturbé, égale à 9 192 631 770 Hertz.

 

 

En l’absence d’atome de césium coopératif et susceptible de vous aider à mesurer cette distance, il vous reste le recours aux bonnes vieilles techniques.

On pourra ainsi l’évaluer à l’aide de la coudée. Pour mesurer une coudée, pliez le bras et tendez le majeur : la distance comprise entre la pointe de votre coude et l’extrémité de votre doigt fait environ 45 cm (enfin très exactement plutôt 43 cm pour les femmes et 47 cm pour les hommes). Mais je ne vous conseille pas de rester dans cette position : un majeur ainsi brandi pourrait être mal pris par certains et vous peineriez à expliquer – surtout à un agent de la force publique- qu’il s’agit là d’un instrument de mesure. Donc, une distance de deux à trois coudées entre vous et votre voisin est souhaitable.

Sinon, Léonard de Vinci et son célèbre homme de Vitruve (Mais si.. l’ancien logo Manpower) peut également vous aider : « La lunghezza delle braccia distese di un uomo è uguale alla sua altezza », c’est-à-dire « La longueur des bras étendus d’un homme est égale à sa hauteur ». Pour un homme d'1m80, ça nous fait une longueur de bras de 90cm en partant du milieu du dos.

 

Tout cela pour te dire que NON, mon cher congénère de file d’attente : si je sens ton souffle chaud dans ma nuque, ou les effluves désagréables de ton « Mennen pour nous les hommes » émanant de tes dessous de bras, tu n’es pas à un mètre de distance. Je t’assure.

 

Voilà. J’espère que cette courte révision des gestes barrières aura été profitable et contribuera à la diminution du nombre de contaminations, afin que l’on puisse très vite jeter le masque aux orties et se serrer très fort.

 

Reste un dernier détail : Faut-il respecter une distance d’un mètre, comme le recommande le gouvernement français, ou de deux mètres, comme le conseillent les très sérieux CDC (Centers for Disease Control and Prevention) américains ? Les avis divergent.

Et d’ailleurs, si l’on en croit la moyenne nationale (qui est, je vous le rappelle, de 8.8 à 12,9 cm, « dans de bonnes dispositions »), dix verges, c’est à peu près la distance à respecter.

 

Je vous laisse imaginer, cela vous distraira dans votre file d’attente.

 



18/02/2021
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