Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Les promesses de Prométhée

Paris, avril 2023

 

 

 

Joyeux contribuables redevables de la TVA au taux réduit de 5.5% s’appliquant sur les croissants, pains au chocolat, pains aux raisins et chaussons aux pommes (à emporter uniquement), je voudrais partager ici avec vous aujourd’hui un doute : je ne suis pas absolument certain que nous fassions toujours une utilisation intelligente du progrès technologique.

 

Laissez-moi vous narrer.

 

L’autre matin, j’avais besoin de deux billets de 10 euros. Ne me demandez pas pourquoi. J’entends, malgré ces chroniques où je vous parle volontiers de moi, garder un peu de ce voile de mystère qui nimbera toujours le destin des êtres d’exception.

 

Malheureusement, je n’avais qu’un billet de 50 euros. « Qu’à cela ne tienne » me dis-je (oui, j’aime bien me parler poliment et à l’aide d’expressions désuètes), « je vais aller faire de la monnaie à la boulangerie en y faisant l’emplette de quelques viennoiseries ».

 

A la caisse, je fis face à une trentenaire mafflue un peu luisante, aux lèvres hyaluro-niquées et à la narine gauche ornée d’un anneau métallique qui lui donnait cet air intelligent que l’on ne rencontre plus guère que dans quelques étables limousines.

L’établissement était équipé d’un monnayeur automatique, merveille de la technologie moderne qui permet d’une part d’éviter que le personnel ne tape dans la caisse et d’autre part de pallier l’incapacité pour un élève sortant pourtant de l’école de la République muni des sacrements du Bac de rendre la monnaie sans se planter.

 

Oui, je sais que l’on vous a vendu cette machine comme un élément d’hygiène évitant le contact entre l’argent et les denrées alimentaires. Mais alors, ne serait-il pas plus judicieux et efficace d’apprendre plutôt au boulanger à ne pas toucher le pain à mains nues après s’être mis les doigts dans le nez ? Voire ailleurs ?

 

La machine me rendit donc quelque menue monnaie et deux billets de 20.

« Je vous prie de m’excuser, vous serait-il possible de me donner deux billets de dix, plutôt qu’un billet de 20 ?» demandais-je à l’accorte vendeuse. Celle-ci eut alors cette réponse sublime que je vous demande de déguster lentement :

 

« J’peux pô, c’est la machine qui choisit les billets »

 

Alors, je ne sais pas vous, mais moi, si j’étais Prométhée, je ne serais pas content. Et c’est ici qu’un petit rappel mythologique s’impose…

 

En ce temps-là, Zeus (le dieu suprême dans la religion grecque antique) régnait sur le monde.

Un jour, il se dit qu’il était temps de distribuer aux hommes et aux animaux les dons nécessaires à leur survie dans cet univers hostile. Mais comme il avait quand-même beaucoup de boulot, il décida d’appeler un sous-traitant.

Il demanda à une petite entreprise qu’il connaissait : « Les Frères Méthée » de faire le travail.

 

A la tête de cette petite entreprise, il y avait Prométhée. Lui, c’était étymologiquement « Celui qui pensait avant » (de πρό-, pró “en avant”, et du verbe μᾰνθάνειν, mănthánein “penser”). Le surdoué de la famille, quoi. Le Boss.

Il travaillait avec son frère Epiméthée (de epi, « après, à la suite de ») , c’est à dire « celui qui réfléchit trop tard » « l’imprévoyant », surnommé aussi « le maladroit ». Bref, le boulet.

 

Epiméthée en avait marre qu’on ne lui fasse jamais confiance et demanda avec insistance à son frère qu’il lui laisse faire le boulot tout seul, pour une fois. Prométhée accepta et paf, la boulette : Epiméthée donna aux animaux force, agilité, rapidité… Il donna des dents aux loups, des griffes aux tigres, la vitesse aux antilopes, le poison au serpent.. Et lorsqu’arriva le tour de l’homme, il ne restait plus rien.

 

J’ai retrouvé pour vous un extrait du dialogue qui suivit dans le bureau des frères Méthée :

 

(Prométhée)« Ah ben c’est malin ça, faut vraiment que je fasse tout moi-même dans cette maison ah là là, j’en ai marre, c’est toujours pareil avec toi »

 

(Epiméthée) « Ouais , je sais, je suis désolé, je ne suis pas très pro, Pro ! »

 

(Prométhée) « Je vais encore être obligé de corriger tes âneries. Regarde, et prends-en de la graine, Epi ! »

 

(Fin de la reconstitution historique)

 

Pour rétablir l’équilibre, Prométhée décida alors d’aller voler le feu à Zeus pour l’offrir aux hommes et leur permettre ainsi de se défendre. En donnant ce feu aux hommes, il leur donnait aussi la connaissance divine, premier pas vers l’artisanat, puis le progrès technique.

 

Le hic, c’est que Zeus était un mec vraiment sympa, mais qui détestait qu’on lui pique ses affaires. Alors il se fâcha tout rouge contre Prométhée et le condamna à être attaché nu sur le mont Caucase, pour que chaque jour un aigle vienne lui dévorer le foie. Cela causait à Prométhée une douleur inimaginable, mais ne le tuait pas, car son foie se régénérait tous les jours.

 

Oui, je suis d’accord, c’est cher payé la boîte d’allumettes.

 

Alors, je vous le demande. Est-ce que ça valait vraiment le coup de se faire bouffer le foie éternellement pour avoir donné la technologie aux hommes pour qu’au 21ème siècle, une humaine me rétorque :

 

« J’peux pô, c’est la machine qui choisit les billets » ?

 

On parle beaucoup d’intelligence artificielle. Mais force est de constater que la machine n’a bien souvent que l’intelligence de celui qui l’a conçue, ou qui l’utilise.

Et là, la connerie naturelle gagne toujours.

 

Et c’est ainsi que l’histoire s’écrit. Dieu est méchant, Madame.

 

 

 

 



11/04/2023
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