Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Le pays qui n'existait pas

Paris, novembre 2023

 

 

 

 

Paris, 1942….

« Je m’appelle Charlotte. Je suis roumaine. Ma famille est arrivée en France à la fin du siècle dernier, lorsque les manifestations antisémites ont commencé en Roumanie : Les Roumains ne voulaient pas que la nouvelle constitution de 1866 donne aux Juifs le droit d’obtenir la nationalité roumaine, que l’on « vende le pays aux Juifs », comme ils disaient …

Alors, ils ont mis à sac le quartier juif de Bucarest, détruit des magasins, brûlé la synagogue…

Mes parents ont craint pour leurs vies et ont fui vers la France… j’avais 3 ans. »

 

J’ai aujourd’hui 78 ans J’ai vécu toute ma vie à Paris... Je me suis mariée à Paris, mais je suis veuve depuis 40 ans. Depuis, j’habite seule au 7, rue du Fauconnier à Paris, dans le 4ème arrondissement.

Nous sommes le jeudi 24 septembre 1942, il est 7:30 du matin et on frappe à ma porte. Violemment.

C’est la police française.

Ils sont deux. Ils viennent me chercher »

 

Bien que non-croyante et non pratiquante, pour les Nazis, Charlotte est désignée juive. Sartre dira d’ailleurs deux ans après : « Si le Juif n'existait pas, l'antisémite l'inventerait » …

Lorsque ces policiers frappent à la porte de Charlotte ce matin-là, leur consigne est simple et concerne tous les juifs roumains : « Les équipes chargées des arrestations devront procéder avec le plus de rapidité possible, sans paroles inutiles et sans commentaires. En outre, au moment de l’arrestation le bien-fondé ou le mal-fondé de celle-ci n’aura pas à être discuté »

 

C’est Émile Hennequin qui parle. Il est le directeur général de la police municipale de Paris et travaille sous les ordres de René Bousquet, antisémite convaincu, secrétaire général de la Police de Vichy, responsable direct de la déportation de plus de 60000 juifs.

Ils ont tous les deux, quelques mois plus tôt, en juillet, organisé la rafle du Vel d’Hiv.

En septembre de la même année, ils savent parfaitement ce qu’ils font et où partent ces gens.

 

D’ailleurs tout le monde le sait. Mais regarde ailleurs.

 

Ce sont souvent les gardiens d’immeuble, français, qui ont renseigné la police pour leur indiquer précisément où se trouvaient les juifs, leurs noms, leur nombre, l’étage…

Arrêtée par la police française, Charlotte sera emmenée à Drancy dans des autobus à plate-forme, conduit par des chauffeurs français. Elle y arrivera à la mi-journée avec les autres et des agents français de la Milice les dépouilleront de tout : bijoux, montres, argent..

On les entassera ensuite dans des bâtiments pour la nuit et dès le lendemain, à 5 heures du matin, ce sera l’appel dans la cour centrale et le départ pour la gare du Bourget-Drancy.

 

Le convoi n°37, (un train français de la SNCF, conduit par un français) quitte la gare à 8:55 le 25 septembre avec 1004 juifs à bord, en direction d’Auschwitz. Ils sont entassés dans des wagons à chevaux. Prévu pour 14 chevaux, on y met 60 personnes. Hommes, femmes, enfants, vieillards, malades, nourrissons…Il fait chaud en ce mois de septembre et vers midi, la soif commence… Metz, Francfort, Katowice.. Certains crient, d’autres pleurent…. les gares défilent dans la nuit. Le voyage dure deux jours

 

A l’arrivée à Auschwitz, le 27 en début d’après-midi, beaucoup de personnes sont mortes, d’autres sont devenues folles.

873 personnes parmi les survivantes seront assassinées tout de suite dans les chambres à gaz, puis brûlées dans les fours crématoires.

 

Charlotte sera déclarée morte officiellement le 30 septembre

A la fin de la guerre, en 1945, il n’y aura que 15 survivants de ce convoi.

 

 

 

Quand on est petit, on apprend que les méchants perdent toujours. Qu’ils sont jugés et condamnés. Que toujours, la justice passe. Que la loi est là pour nous protéger…

 

Bousquet et Hennequin seront jugés après la guerre.

 

Hennequin sera condamné en 1947 à 8 ans de travaux forcés, gracié aussitôt en 1948 et « mis en retraite d'office » le même jour. Il mourra dans son lit en 1977, de vieillesse, à 89 ans

Pour Bousquet, c’est encore pire : La Haute Cour de la Libération juge que : « pour si regrettable que soit le comportement de Bousquet en divers moments de son activité comme secrétaire général à la Police… il n'apparaît pas qu'il ait sciemment accompli des actes de nature à nuire à la défense nationale »

Il sera condamné à cinq ans de « dégradation nationale », sentence immédiatement annulée en reconnaissance de sa « participation active à la résistance contre l’occupant ». Il retourne tranquillement à la vie politique, puis aux affaires dans la banque et la presse dans les années 1950.

 

En 1957, le Conseil d'État lui rend sa Légion d'honneur, et il est même totalement amnistié le 17 janvier 1958.

En 1974, il soutient financièrement la candidature du candidat socialiste à l’élection présidentielle. Ce candidat s’appelle François Mitterrand, qui fut décoré (comme Hennequin) de la francisque par Pétain.

Il restera l’ami de François Mitterrand, jusqu’à la fin de sa vie, parfois même invité à sa table.

Il mourra en 1993, avant son jugement, à 84 ans, assassiné par un déséquilibré.

 

 

Que reste-t-il tout cela 80 ans plus tard, dans nos mémoires ?

 

La certitude absolue qu’on ne peut jamais totalement faire confiance à quelqu’un. Même pas au voisin, même pas à l’ami. Ni à la France, ni à n’importe quel pays.

Que jamais, nulle part, on ne sera vraiment chez soi. Qu’on ne peut jamais dormir complètement tranquille.

On fait vite l’apprentissage de l’intranquillité. La fin de la quiétude. L’inquiétude.

Les yeux ouverts sur la nuit.

Et cette peur irrationnelle qu’un jour, les coups frappés à la porte recommencent

 

Alors, certains des enfants et des petits-enfants de Charlotte ont voulu rêver un endroit, un pays quelque part ou la peur n’existerait plus, enfin.

Sur le désert, ils ont construit des villes et des fermes.

Ils ont retourné la terre, planté des arbres, cueilli des fruits. Ils croyaient avoir enfin leur pays.

Ce pays d’où personne ne serait chassé parce que Juif, comme les parents de Charlotte.

Ou personne ne viendrait vous chercher un matin, comme Charlotte.

 

Mais Roumanie, France ou Israël, ce pays n’existait pas

Ce 7 octobre au matin, 81 ans après, des coups ont retenti à nouveau à la porte du kibboutz….

 

Et tout a recommencé.

 

 

 

 

 



31/10/2023
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