Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Parole d'homme blanc

Paris, juin 2017

 

 

Allez, c’est décidé je fais mon coming-out ... je vais tout vous dire, même si c’est difficile, même s’il m’en coûte : j’avoue…

Oui, je suis un homme blanc.

Si si, je vous assure, j’ai vérifié. Et tout petit, déjà, si j’en crois les photos de ma prime enfance ou, nu sur une  peau de chèvre….

 

Bon j’arrête, j’excite tout le monde…

 

Même si le constat m’accable, il n’y a aucun doute possible. Je dois me rendre à l’évidente navrance de ma mâlitude blanche, ou de ma blanchitude mâle, comme vous voudrez…

 J’ai un chromosome en plus (le Y) et une protéine en moins (la mélanine)… Je suis un mâle blanc, vous dis-je. J’ai tout essayé pour quitter ce groupe, mais rien à faire. Mon corps, cette carcasse honnie, s’obstine stupidement à fabriquer de la testostérone et à prendre des coups de soleil, même en Bretagne au mois de juin.

 

Et ce n’est pas fini. Il me faut ici poursuivre mon examen de conscience et finir mes aveux devant vous. J’ai été élevé dans la religion catholique (apostolique et romaine), au sein d’une famille ni pauvre, ni riche, en province.

Je me rends bien compte du misérabilisme absolu de tout mon être. Homme, blanc, catholique, « bourgeois » et provincial…

 

Selon une ligne de pensée à la mode un peu partout actuellement, me voici donc de facto définitivement disqualifié pour parler des grands sujets de ce monde qui sont, dans l’ordre, le Sexisme, le Racisme,  les Problèmes sociaux, la Place de l’Islam dans la société et la Fermeture des voies sur berges à Paris.

 

Parce qu’un nouveau courant de pensée est né en ces temps troublés : pour élaborer une opinion qui puisse être considérée comme avisée sur un sujet quelconque, il faut nécessairement avoir vécu ce quelque chose dans sa chair.

Je m’explique : seules les femmes peuvent parler de féminisme, les noirs de racisme et les musulmans de l’islam, par exemple.

N’étant ni femme, ni noir… mes opinions sur le féminisme ou le racisme sont suspectes. Plus que suspectes même, elles sont forcément erronées : je pense en mâle dominant blanc, inéluctablement. Beurk.

A moi donc les sujets de vrais mâles blancs: foot (duel Monaco/PSG),  bagnole (duel Porsche Panamera / Maserati Granturismo) ou culture (duel Nabilla / Kim Kardashian). Là se limite mon domaine d’expertise…

 

Me voici marqué au fer rouge….et ces marques s’accumulent les unes sur les autres pour me ranger dans ma petite boîte : toute opinion émise, toute idée formulée  est aussitôt repoussée d’un « ah, toi, tu es bien un……un mec, un blanc, un catho, un bourgeois (pour les prolos) , un prolo (pour les bourgeois), un capricorne, un breton (pour les parisiens), un parisien (pour les bretons), un gauchiste (pour les gens de droite), un facho (pour une certaine gauche)…

 

Peu importe mon athéisme farouche… Je suis né catho blanc, je pense donc comme un catho blanc et suis donc responsable (en bloc) de la quatrième croisade (et donc de la prise de Constantinople subséquente), de l’inquisition et du massacre des Templiers, des guerres coloniales, du malaise des banlieues et des mauvaises ventes du dernier single du rappeur Abd al Malik. Que la honte soit sur moi jusqu’à la treizième génération de ma race, ceci dit pour rester dans l’esprit Templier !

 

Dire que je pense ce que je pense PARCE QUE je suis homme ou blanc, c’est de l’essentialisme. Une vieille théorie qui « estime que l'innéité biologique prévaut dans le comportement d'un individu sur les acquisitions ultérieures qu'il a adoptées ou construites »(1).

A cette théorie, s’oppose l’existentialisme de Sartre, qu’il nous faudrait bien relire aujourd’hui (2) : « L'existentialisme athée, que je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'homme ou, comme dit Heidegger, la réalité-humaine. Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme est non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan vers l'existence, l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait »

 

Exprimé de manière encore plus simple, l’existentialisme est résumé en une phrase par Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme. On le devient »(3).

Etre femme n’est pas un préambule (au sens de pre-ambulus, qui marche devant, qui précède), mais le résultat d’une exploration, d’un voyage, d’une découverte qui passe par la découverte de l’autre. Phrase que devraient méditer quelques féministes adeptes de non-mixité (de genre ou de couleur) et farouches contemptrices de blanchitude.

 

On ne naît pas homme non plus. On le devient. C’est Erasme qui l’avait dit, bien avant Simone, qui n’avait fait en réalité que lui piquer l’idée : « at homines, mihi crede, non nascuntur, sed finguntur » (Pour ce qui est des hommes, à mon avis, ils ne naissent pas hommes, ils sont façonnés comme tels.) (4)

 

Alors oui, on sait maintenant que tout n’est pas si simple. Que l’inné et l’acquis, que la psychologie, la génétique et même désormais l’epigénétique se mélangent pour venir  compliquer tout cela… mais n’oublions quand-même jamais Sartre : « Nous sommes condamnés à être libre ».

 

Et donc si, au lieu de se demander « qui » parle, on se demandait plutôt « d’où » on parle ?…

 

Je suis né homme blanc. Mes voyages, mes rencontres, mes réussites, mes échecs…m’ont tour à tour rendu un peu plus noir, un peu plus femme, un peu plus africain, un peu plus juif, un peu plus pauvre, un peu plus athée…Je pense parfois en vieille femme africaine, ou en enfant juif … L’existence précède l’essence, disait Sartre.

 

On ne peut plus me réduire à mon phénotype (4)

 

Une pensée provient nécessairement d’un corps. La disqualifier (ou la qualifier) a priori,  parce que ce corps est blanc, ou noir, ou mâle, ou pauvre, … est un rétrécissement de l’esprit et la base de tous les replis sur soi, de tous les racismes et de toutes les intolérances.

 

Désolé, mais une pensée complexe, élaborée dans ce que je crois être un néocortex en état de marche, ne sera jamais réductible à un gène perdu de mon ADN.

 

Je ne pense pas avec ma mélanine (5).

 

 

 

 Bibliographie

 

  1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Essentialisme
  2. Jean-Paul Sartre  - L'existentialisme est un humanisme – Poche Folio
  3. Simone de Beauvoir – Le deuxième sexe – Tome II
  4. Érasme - De pueris instituendis (1528) 
  5. Ensemble des caractères observables, apparents, d'un individu
  6. @Doctor_Mouse : « Des millénaires de civilisation pour penser avec sa mélanine. L’Histoire est une poubelle de crânes vides »


25/06/2017
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 58 autres membres