Les étoiles dans le caniveau

Les étoiles dans le caniveau

Moderato, ma non troppo

Paris, juillet 2023

 

Joyeux contribuables redevables de la taxe locale sur la publicité extérieure régie par les articles L2333-6 à L2333-15 du Code général des collectivités territoriales, Jean Rostand avait bien raison quand il déclarait : « La radio n'a pas rendu les hommes plus sots. Mais la bêtise est plus sonore ».

 

J’en veux pour preuve l’avalanche de messages incohérents que la publicité répand chaque jour sur les ondes de nos belles radios.

(Ou sur nos écrans divers. Ou bien sur les prospectus que vous pouvez retrouver dans vos boîtes aux lettres, mais je ne voudrais pas dire du mal ici de ces derniers parce que c’est quand même bien pratique pour éplucher les légumes pendant les chaudes après-midi d’été).

 

Tout a commencé le 10 janvier 1991 avec la désormais fameuse loi Evin qui conditionnait la publicité pour l’alcool à la présence expresse de la mention « l’abus d’alcool était dangereux pour la santé ».

Cette loi représentait la première tentative historique de message contradictoire qui vous incitait d’un côté à acheter plus de bouteilles d’alcool, mais en précisant bien de l’autre qu’il ne fallait pas en abuser.

 

Une fois cette première étape franchie, le législateur fou s’en est donné à cœur joie :

Afin de « réduire l’exposition de la population à un environnement obésogénique » (1), il a ensuite ordonné que toute publicité destinée à faire la promotion de boissons avec ajout de sucre ou de sel (sodas, soupes..) soit justement accompagnée de la mention … « Pour votre santé, évitez de manger trop sucré, trop salé », poussant la contradiction jusqu’à ajouter que, de toutes façons…« En plus du lait, l’eau est la seule boisson indispensable ».

 

Passons rapidement sur les publicités pour les crédits, qui précisaient à l’attention des esprits faibles qui auraient pu en douter que « Un crédit vous engage et doit être remboursé » et donc de « Vérifier vos capacités de remboursement avant de vous engager ».

Puis arrivèrent les publicités pour les jeux divers qui vous prédisaient ruine, violence et luttes intestines sanglantes au sein même de votre famille en vous prévenant, tout en en faisant la promotion bien sûr, que « Les jeux d’argent et de hasard peuvent être dangereux : pertes d’argent, conflits familiaux, addiction… »

 

Enfin, récemment, sont apparues les publicités pour de coûteuses automobiles gavées de technologie moderne dans lesquelles il vous est instamment recommandé en vertu de la loi « Climat et résilience » (sic) : « Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo » et « Au quotidien, prenez les transports en commun »

C’est-à-dire, en bref : « S’il vous plait, endettez-vous sur deux générations ou vendez un rein pour acheter ce dernier modèle de voiture électrique, mais, ensuite, soyez sympas : évitez de l’utiliser ».

 

Dans le même esprit, je vous annonce dans un futur que je prédis proche les publicités pour des lessives qui vous recommanderont d’économiser l’eau, précédant de peu celles pour les parfums porteuses de la mention « Puer, c’est bien ».

 

 

Que penser de cette avalanche de messages qui nous enjoint à la fois d’acheter plus, mais de ne surtout pas utiliser le produit acheté ? En psychologie, cela porte le nom d’injonction paradoxale. Cela peut entrainer des perturbations à l’origine de troubles mentaux graves et durables, voire plonger le péquin moyen dans la schizophrénie.

 

Heureusement, pour s’en sortir, le consommateur pas con a développé une stratégie intéressante, selon une étude réalisée par la revue Que choisir :

704 parents ont été invités à visionner un spot TV vantant des céréales au chocolat très sucrées (37% de sucre !!) dans lequel on avait, conformément à la loi, inséré le message : « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé »

Quand on leur a demandé ensuite ce que voulait dire cette phrase par rapport au produit proposé, près de 70% d’entre eux ont répondu que cela voulait dire que les céréales recommandées dans le spot étaient équilibrées, et qu’elles participaient « Comme ils le disent à la télé » à une alimentation moins grasse, moins sucré et moins salé.

Il était en effet totalement incompréhensible pour un cerveau normalement constitué que l’on puisse faire de la promotion pour un produit qui contrevenait aux recommandations qui s’affichaient en même temps en toutes lettres sous le susdit produit.

 

Et donc le message produisait très exactement l’effet inverse de celui souhaité.

 

Et c’est ainsi que l’histoire s’écrit. Dieu est méchant, Madame.

 

 

 

 

1 Réponse de Santé publique France à la saisine de la DGS du 2 octobre 2018

2 https://www.aprifel.com/fr/article-revue-equation-nutrition/quand-les-messages-sanitaires-imposes-dans-la-publicite-alimentaire-saverent-contre-productifs/

 

 

 



30/06/2023
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